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lundi 20 mars 2017

Escapades russes

Il y a dix ans, alors que j’étais tout jeune embauché, Jacques, notre expert et mon supérieur hiérarchique de l’époque, m’avait proposé de l’accompagner en Arménie. Il s’agissait de suivre un chantier, sur plusieurs missions de deux ou trois jours. L’Arménie n’a qu’une centrale nucléaire (qui dans l’ensemble fait très peur quand on marche entre ses bâtiments), mais se dote peu à peu, souvent par le biais de moyens internationaux, de nouvelles installations.

Jacques est attaché à la langue russe, qu’il parle couramment. Il a séjourné en URSS dès ses études, à la fin des années 1960. Il n’a cessé de retourner depuis dans des pays qui au temps de la guerre froide étaient des satellites de la Russie. Il participe toujours, à ma connaissance, à des fouilles archéologiques dans ces régions, avec sa femme directrice de recherche au CNRS.

Lors de notre première mission à Erevan et Metzamor, je n’ai évidemment rien compris à ce qui s’est dit. Si les plus jeunes apprennent et parlent maintenant l’anglais majoritairement, les plus anciens qui étaient nos interlocuteurs, âgés disons de 45 ans et plus, ont dû apprendre le russe : l’Arménie a été sous domination soviétique jusqu’en 1991. (Un soir Jacques a d’ailleurs essayé de parler russe à un jeune serveur, qui lui a obstinément répondu en arménien – à dessein, m’avait-il semblé. La langue du dominateur était celle de la génération de ses parents, lui ne voulait plus que ce fût la sienne.) Ce fut donc la langue de travail pour quelques jours.

Avant la seconde mission deux mois plus tard, je m’étais mis un petit défi : comprendre au moins la conversation que Jacques ne manquerait pas d’avoir avec le conducteur de taxi, de l’aéroport à l’hôtel. Grande motivation, méthode express. Je me disais même, optimiste, qu’un jour je serais capable de lire Dostoïevski dans sa langue. J’ai compris une partie de la conversation dans le taxi, le moment venu, et quelques échanges informels (au restaurant, le soir ; à la cantine avec nos clients). Je suis retourné en Arménie une dernière fois courant 2007 ; je ne me suis plus rendu dans un pays russophone depuis, je ne le savais pas alors mais j’avais laissé-là toute velléité d’amélioration de mon niveau de russe pour les dix années à suivre.

En mai prochain, nous serons à Saint-Petersbourg à l’occasion des nuits blanches. Je me suis donc fixé un deuxième défi : revenir à l’apprentissage du russe par une méthode détaillée, afin d’acquérir une vision nettement plus extensive de la langue. J’aime bien l’idée d’aller dans un pays et d’en comprendre et parler un peu (beaucoup ?) la langue. Cette langue est difficile pour un Français comme moi, qui ne connais pas de langue slave, qui n’ai jamais été brillant en latin ou en allemand (langues qui ont quelques éléments de proximité avec le russe). Cela représente même un des plus grands efforts intellectuels dans lesquels je me sois lancé. Alors on sourira de mes y, de mes ю ; de mes a, de mes я car beaucoup seront mal-t-à propos. Mais je me rapproche doucement de Dostoïevski, я вам говорю !

mercredi 22 février 2017

Ce qui peut tenir de crème fouettée sur la langue rose d'un chat

Courtisane de qualité, que les Grâces trois fois décorent, ô Nane ! quel démon vous a mis en tête le tourment de l’Art ? Auriez-vous fait rencontre, dans une brasserie, d’un peintre, d’un esthète, – d’un critique, peut-être (disons le mot) ? Car c’est dans les brasseries, vous le savez, Nane, que se rencontre l’aristocratie de la pensée ; comme, dans les bars, celle de la naissance. Et ces Messieurs auraient-ils noué partie d’épaissir, à leur jargon, ce peu de cervelle qui est la vôtre, qu’on s’imagine mousseuse et candide, pareille à ce qui peut tenir de crème fouettée sur la langue rose d’un chat. Ils vous ont parlé de Nietzsche, j’en suis sûr, de « tons de distance », de Gauguin. Et ils ont dit, avec mépris, à propos des choses qu’ils n’aimaient point : « Ce n’est pas de l’Art. C’est de la littérature. »

Eh, laissez-le donc tranquille, l’Art : afin qu’il vous le rende. Si le caprice vous vient de contempler des belles choses, n’avez-vous pas assez de vous mirer dans votre miroir, votre beau miroir Louis XVI dont le cadre, doré au mat, figure une sensible bergère qui répand des pleurs auprès d’un nid renversé ? Et sur mon âme, ce meuble est épris de vous. Pareille à la brume délicate qu’un soir d’août suspend sur les eaux, voyez cette buée qui le voile, tant il s’émeut, dès que vous surgissez devant lui parée de vos seuls colliers ; aussi nue et moins rigoureuse qu’une Vérité mathématique. Mais vous, Nane, vous ne l’aimez point. C’est pourquoi sans pudeur vous souffrez qu’il vous épie jusque dans votre chair la plus secrète, avec vos genoux un peu rapprochés, vos coudes de corail pâle, une gorge sans escarpements ; si irrégulière pour tout dire, en vos charmes, qu’ils ne sont peut-être qu’une exquise difformité.

Paul-Jean Toulet, Mon amie Nane.

lundi 2 mars 2015

Bestiaire : le lynx et la taupe

Dame Taupette en son terrier
N’avait que terre dessus ses pieds.
Seigneur Lynx, maître en sa forêt d’hiver blanchie,
Préférait aux affres sombres de la nuit,
Aller au grand air, à sa convenance,
Fringuant félin, pérorant à outrance.

Voyez si mes états s’étendent dessus votre antre,
On s’y perdrait, n’étais-je là comme guide. Diantre !
Clame-t-il tout de go à cette malvoyante,
Votre logis au mien ne peut se comparer !

Et, pour longtemps encore, de tels mots se vante.
La taupe qui laissait dire ne s’en laissait conter.
L’hiver forçait. Elle savait bien
Qu’au fond elle ne manquait de rien ;
Et que pour le lynx rien n’était plus certain,
Qu’il aurait à lutter pour son pain quotidien.

En ses grandes étendues,
Les fortes gelées venues,
Messire perdait de sa superbe
Et bien moins haut portait son verbe :
Le gibier venait à manquer,
Le lynx de se désespérer.

L’orgueilleux lynx maigrit et mourut.
La taupe modeste, cachée, survécut.

jeudi 2 octobre 2014

Bestiaire : Le héron et le moineau

Qui donc me rappelle le héron ?
Fier et hautain,
Tout grand, tout sec,
Et quelle aigrette !

Le moineau, autour de lui, s’agite,
Ralant pour rien,
Ouvrant le bec,
Petite bête.

N’était-il pas Premier ministre,
Très aérien,
Fort beau, avec
Une houppette ?

Et son ennemi fanfaron
Semblait de loin
Un petit steak
À talonnettes !

Las, il n’était pas vraiment bon.

Et le moineau nous rend visite.

lundi 21 juillet 2014

Bestiaire : la libellule

Ou : pourquoi je n’aime finalement pas les notes de bas de page.

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samedi 5 avril 2014

La doudoune

Totalement à contretemps de la température extérieure et des plus élémentaires règles de l’à-propos vestimentaire, surgit de nos jours et de par les rues cette incongruité gonflée et gilet-de-sauvetagesque : je veux bien sûr parler de la doudoune. (J’aime le zeugma, oui, et pour écrire façon Mauriac : il ne sera pas dit que vous n’en lisiez pas un autre d’ici la fin de ce texte.)

À moins éventuellement de devoir dévaler quelques pistes de ski ou de se lancer dans un trek en Antarctique, qu’a-t-on besoin de s’affubler partout de pareil accoutrement ? D’un babil incertain, bégaiement facile autant qu’approximatif, nait le mot doudoune au cours des années 1970 (m’apprend mon Robert). Que n’y est-il resté, et le vêtement qu’il désigne avec lui ! Certes, il pourrait vous arriver par très grand vent de chuter du pont Lafayette, dans le Rhône. Alors vous flotteriez, la belle affaire. Ce serait toujours ça de moins d’infligé à la vue des lyonnais, contrits par tant d’uniformité rembourrée sur le dos des passants. Mais, admettez, quelle vanité pour une si faible probabilité.

Reprenez vos vestes légères et seyantes ; vêtez vos rouges manteaux de printemps, tel l’arbre son vert renouveau foliaire : élégamment. Laissez, je vous prie, les boudins au charcutier.

mercredi 11 décembre 2013

Petite fantaisie alcoolique

Comment attirer une seconde l’attention, entre deux gobelets de champagne.

Je n’ai pas une très bonne mémoire, hormis peut être celle des visages.

Ce soir, réunion du personnel et coup à boire de rigueur. La conversation s’oriente vers les moyens mnémotechniques. J’essaie de justifier (maladroitement) mon point de vue, discutable, à savoir : se souvenir d’une chose n’est souvent pas moins complexe que de se souvenir du moyen mnémotechnique qui permet de se rappeler la chose en question. Cambronne ordonna silence et dévouement à ses carabiniers permissionnaires me semble une phrase assez débile pour se souvenir des périodes de l’ère primaire, et en tout cas aussi compliquée à retenir que Cambrien Ordovicien Silurien Dévonien Carbonifère Permien, la liste desdites périodes. J’essayais aussi, en cinquième, d’argumenter avec ma prof d’allemand que le fait que Cerbère gémisse en enfer ne me permettait pas mieux de me souvenir des particules verbales non séparables que la liste des particules en question lue dans l’ordre alphabétique. En vain. (Clin d’œil à Frau Brechenmacher et aux quelques lecteurs germanistes, en passant.)

Or, la conversation dériva. J’avais déjà bu près de trois verres lorsqu’un collègue me prit à partie et me demanda quelle était la trentième décimale de pi. J’ai répondu du tac au tac : C’est un 9 ! pourquoi ? J’ai jeté un léger froid, et on va probablement me regarder encore plus bizarrement maintenant, je n’avais pas besoin de ça.

Je me souviens en effet d’un petit poème qui permet de retenir une palanquée de décimales de pi, et la trentième tombe sur le mot avantages, neuf lettres. Mais sérieusement, qui a besoin de connaître trente décimales de pi ?

jeudi 21 mars 2013

Grandeur et décadence de la presse

Il fut un temps où, à l’agence de Lyon, nous recevions 01 Réseaux. Comprenez réseaux informatiques. Vu notre activité, on peut bien se demander qui nous avait abonné à ça (à dire vrai je n’ai jamais pu comprendre le contenu d’un seul article de cette publication entièrement…) mais les publicités très second voire nième degré qu’on pouvait y trouver compensaient largement le contenu du magazine.

Las, ce temps béni est révolu. Révolu ? Que non pas, car nous sommes maintenant abonnés au Progrès !

Oui, Le Progrès, journal de référence pour l’actualité lyonnaise, du Rhône et de quelques départements autour ! Je me permets l’exubérance de quelques points d’exclamation car les pauses café n’ont jamais été aussi drôles que ces jours-ci. Le Progrès est inénarrable, archétypal de la presse quotidienne régionale, mais qu’on aurait portée à des degrés de raffinement que j’imagine inégalés. Il faut le lire pour le croire.

La une, pour commencer ; aujourd’hui, un gros titre aguicheur s’étalait sur deux lignes, en gras, corps 48 : une coiffeuse coupe l’oreille d’un garçon de 3 ans ! Ouh là, vite, les pages intérieures. Les aventures de Oui-Oui finissent bien en général. Quelle phrase d’attaque ! Eh oui, le gosse regardait un dessin animé sur une tablette, mais la coiffeuse aussi ; d’où pleurs, morceau par terre et sanguinolence, et vous en avez pour trois quarts de page bien troussés (sans dévoiler le nom du coiffeur maudit, non mais, faut pas s’attendre à un niveau d’investigation aussi poussé quand même !)

Ah, les belles histoires ! Mais où les dénichent-ils ? Je suis sûr qu’au Progrès ils se battent pour trouver la perle qui leur permettra de rédiger un petit article de derrière les fagots, souvent écrit avec lyrisme et à tout le moins avec une prétention littéraire avouée. Une dizaine de zozos s’amuse à les rechercher tous les jours, assis dans des fauteuils bleus avec un café, sur les coups de 9h37. Mois après mois, le classement officieux des meilleurs articles du Progrès s’établit. Un bon collègue en fait souvent la lecture à voix haute, parce qu’ils le méritent.

Roulement de tambour : sous vos yeux ébahis, voici notre sélection exclusive des plus grands (donnés sans ordre de classement).

1. Les faits : réfugié sur son balcon, nu, il est contraint d’appeler la police pour échapper au harcèlement sexuel que lui fait vivre sa copine au quotidien. L’analyse des zozos impénitents : comment émoustiller le lecteur par une situation cocasse avec un peu de sexe dedans, sur le mode : attention, ça pourrait vous arriver !

2. Les faits : elle avait perdu son alliance depuis des mois ; le bijou est retrouvé au hasard du déterrage des carottes du jardin, autour de l’un des légumes. L’analyse des zozos impénitents : de la poésie dans ce monde de brutes, qui n’est pas toujours aussi noir que ça.

3. Les faits : un jeune homme est arrêté à bord de sa voiture de sport, on tente de la lui voler (l’un des malfaiteurs s’installe à bord pendant que l’autre déloge le conducteur) mais il parvient à rerentrer à l’arrière après avoir été sorti de l’engin. Il arrive on ne sait comment à reprendre le volant avec l’un des deux voleurs à côté de lui, pendant que le deuxième les poursuit dans une autre voiture. Ils prennent un rond-point à 150 km/h quand ô miracle une voiture de police les stoppe. L’analyse des zozos impénitents : tout le monde n’est pas Steve McQueen dans Bullitt, et ne demandez pas d’explications, merci. (Mais tout ce que j’ai indiqué était écrit tel quel dans l’article, oui, 150 km/h dans un rond-point, oui, etc.)

4. Sûrement l’un des meilleurs de toute l’histoire du journal, n’ayons pas peur des mots. Les faits : madame s’arrête sur des aires d’autoroute peu fréquentées pour tuer discrètement ses dindons à coup de nunchaku, à l’arrière de sa voiture. L’analyse des zozos impénitents : incongruité et gore pour ce mini road-trip animalier, ingrédients majeurs d’un grand fait divers de qualité. Ce jour-là on se croisait dans les couloirs, oscillant entre sourire et fou rire qui redémarrait de plus belle.

Et c’est ainsi qu’on lit Le Progrès.

lundi 8 octobre 2012

Fabulette

Quel petit couple charmant,
Quel bonheur constant,
Parfait en chaque instant,
Si ce n’est concernant
La cuisson des aliments.

Le premier, tout menu,
Les aime quasi crus :
Croquent les laitues,
Les radis, les barbues,
Craquent aussi les merlus.

Au contraire, le second,
Plus charnu et plus rond,
N’aime que ce qui fond,
Et craint ce qui rompt,
Carottes, haricots et bâtons.

La bataille empiète sur la nuit,
Les voisins se plaignent du bruit.
Quelle cause, cette fois, au conflit ?
Des petits pois trop cuits,
Un canard manquant de confit.

Chacun tient à son goût,
Pour le dur, pour le mou.
Le contrôle du faitout
Finit par les pousser à bout
Et le repas déchire les époux.

Ah ! Que c’est rageant !
La recette est-elle donc perdue
De la parfaite cuisson
Du chevreau mi-cuit
Au chou tout mou ?

vendredi 14 septembre 2012

Il a du bobo, Léon

Il a du bobo, Léon,
Il porte un bandeau, Léon,
Il a du bobo, Léon,
Oh pauvre Léon !

D’abord y s’appelle pas Léon
Mais j’me souviens plus de son nom,
J’peux pourtant pas l’appeler Hortense
Et puis ça n’a pas d’importance.

Il a du bobo, Léon,
Il va ptet canner, Léon,
Il a du bobo, Léon,
Oh pauvre Léon !

On l’a mené à l’hôpital
Pour le soigner où il avait mal,
Y s’était fait mal dans la rue
Mais on l’a soigné autre part.

Et il est mort !

(Boby Lapointe)
 

vendredi 31 août 2012

Non bis idem

Ce n’est pas parce qu’une chose a été dite qu’il ne faudrait pas la répéter. De tout temps, les hommes etc. Ainsi des plus grands artistes : Schubert ou Beethoven composaient en se répétant, dix minutes de pom pom pom pom, il y en a un peu plus je vous le mets quand même, ils répétaient en composant et l’on ne leur en a pas tenu rigueur. Ainsi des plus grands artistes : hormis son Fidèle berger, tous les romans de Vialatte semblent une variation sur le même thème, des enfants, une sous-préfecture, l’appel du lointain, monsieur Panado, le titre de l’un devient un élément de décor du suivant, La Dame du Job se retrouve au mur des Fruits du Congo, tous les romans de Vialatte semblent une variation sur le même thème, et tous sont pourtant merveilleux. Ainsi des plus grands artistes : Joe Dassin lui-même, avouez que vous ne l’attendiez pas ici, Joe Dassin lui-même alla siffler là-haut sur la colline, zaï zaï zaï zaï, notez bien, zaï zaï zaï zaï, il aurait pu siffler là-haut sur la colline, zaï, tout simplement, mais non, Joe Dassin lui-même aimait se répéter.

Ce n’est pas parce qu’une chose a été dite, disais-je, qu’il ne faudrait pas la répéter. L’époque est d’ailleurs à cela : les hommes politiques se posent d’écran en écran, comme un vol de perroquets, bruyants, distrayants et un peu ridicules, répétant encore et encore leurs phrases apprises à la volière ; les agences reprennent en leurs dépêches ces formules sans les reformuler, par souci d’objectivité ; les journaux reprennent en leurs pages les dépêches en les reformulant, par souci d’originalité ; les commentateurs commentent, les analystes analysent, les rieurs rient. (Il n’y a pas de quoi.) Quelque part sur l’Internet, quelqu’un remarque le procédé et le dénonce en un message bien troussé. Les internautes indignés de reprendre le message, de le partager à l’identique, de le retweeter. L’époque est à cela.

Ce n’est pas parce qu’une chose a été dite, donc, qu’il ne faudrait pas la répéter. Cela se fait beaucoup au cinéma, d’ailleurs. Combien de King Kong, combien de Dracula, combien de Police Academy ? John Carpenter, dont je devrais dire plus souvent du bien, John Carpenter a érigé la répétition en méthode, lui qui dit ne réaliser que des remakes. Sans doute, cependant, a-t-il épuisé le filon en réalisant un remake (Los Angeles 2013) d’un de ses propres films (New York 1997) : Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes, avoue le personnage principal.

Ce n’est pas parce qu’une chose a été dite, me suis-je dit ce soir, qu’il ne faudrait pas la répéter. Et je me suis demandé un instant si je ne pourrais pas vous leurrer, ô Lecteur, et peut-être même vous satisfaire, en répétant un billet ancien. J’en aurais choisi un pas trop poussiéreux, pas trop craquelé : un léger coup de plumeau, au plus, et le tour était joué. Un échange gagnant-gagnant : j’aurais eu l’impression d’écrire, vous auriez lu.

J’ai pourtant fini par renoncer. C’est qu’il serait malhonnête, n’est-ce pas, de meubler ici à coup de répétitions.

lundi 20 août 2012

La Malédiction du Produit Bleu

I would like, if I may, to take you on a strange journey. » Laissez-moi, en effet, vous exposer un instant… la malédiction du Produit Bleu. (Aurait-on les moyens qu’ici frapperait l’éclair et roulerait le tonnerre.)

Une bien belle invention que ce Produit Bleu, qui met les tâches ménagères à la portée des plus feignants, sans doute la plus belle invention depuis le trempage de vaisselle, tout juste détrônée par la mousse qu’on vaporise sur les taches, qu’on laisse agir et qu’on rince d’un seul coup d’éponge. (Encore que je réserve mon jugement sur cette mousse surpuissante que je n’ai vue agir qu’à la télévision.) Une vague de fraîcheur, la brise marine, l’eau du lagon, sans forcer, enfin dans vos toilettes. Et ces bactéries brunâtres qui s’enfuient en grimaçant devant la vague bleue, comme un critique nippophobe devant l’œuvre d’Hokusai.

L’usage en est simple : on badigeonne la porcelaine de Produit Bleu ; on en regarde un instant, presque attendri, les dégoulinures lentes qui poursuivent implacablement les germes et microbes de la réclame ; on laisse agir, c’est le meilleur moment, on laisse agir en se disant qu’on rincera la prochaine fois qu’on ira. (J’aime cet euphémisme vieillot.) Il est dit, sur l’emballage, qu’il ne faut pas laisser agir plus de vingt minutes, mais cela ne m’a jamais trop inquiété, d’abord parce que cela ne semble inscrit qu’en passant, à titre d’indication, comme on donnerait un temps de cuisson dans une recette approximative, ensuite parce qu’il serait sinon inédit du moins rare que je passe vingt minutes entières sans avoir l’occasion de rincer.

Mettez des égyptologues devant un sarcophage doré, ils se disent le rêve d’une vie : ouvrons-le vite ! ; ils l’ouvrent vite ; ils meurent ensuite ; c’est la malédiction de Toutankhamon. Mettez-moi devant une cuvette bleutée, je me dis le rêve d’une vie, je peux glander ! ; je glande, je glande, je glande, je commence à me tortiller en glandant, je glande, mon genou droit tressaute, je glande, je me lève d’un bond et je cours aux toilettes ; et, là, au lieu de me soulager immédiatement, je me retrouve devant la cuvette bleutée qui appelle à être rincée : c’est la malédiction du Produit Bleu.

J’imagine qu’il y a des gens, face à une telle urgence, qui n’hésitent pas à rincer au jet, se disant qu’ils pourraient bien frotter après. Les sots ! Qu’ils doivent être soulagés vite ! Mais à quel prix… C’est que j’ai de vagues restes de chimie, moi. Je sais qu’il ne faut pas mélanger la javel et l’ammoniac, que cela dégage du chlore, qui est toxique. Je sais aussi que l’urine contient de l’urée (chimie et étymologie) et que l’urée, c’est presque de l’ammoniac (vagues, les restes de chimie, ai-je dit). Et donc je rince, et je frotte, à demi penché sur la cuvette, mes bourrelets écrasant ma vessie et mes remords, mon esprit.

Notre Produit Bleu actuel ne contient pas d’hypochlorite de sodium (encore un reste de chimie), à en croire la composition, mais il contient des tensio-actifs non anioniques, et dieu seul sait ce que ça peut-être, des tensio-actifs non anioniques, des tensio-actifs cationiques, peut-être, allez savoir, pas de javel en tout cas, j’ai vérifié une fois l’urgence passée. Mais le doute reste.

Et c’est dans ce doute que s’insère, insidieuse et sournoise, sadique et saugrenue… la Malédiction du Produit Bleu.

mercredi 4 juillet 2012

Art ménager

 

Jolis mots pour une corvée.

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vendredi 22 juin 2012

L'Amiral

L'amiral

L'amiral Larima
Larima quoi
la rime à rien
l'amiral Larima
l'amiral rien.

Jacques Prévert, Paroles

vendredi 20 avril 2012

Présidentielles

Le présent faisant rage, et le temps des ravages, la vieillerie approche et son lot de sagesse, d'aigreur et d'incontinence. Comment ne pas aigrir quand nous devrons demain, par un reste de fierté, affirmer à de plus jeunes que nous, plus beaux et vigoureux encore, quand nous devrons leur affirmer, sans rougir pourtant, leur affirmer que, de notre temps, la politique était affaire sérieuse ? Oublié le favori qui refuse de nommer son adversaire autrement que le candidat sortant ; oublié le président qui promet aujourd'hui ce qu'il raillait hier et refuse désormais ses promesses d'antan ; oubliés les deux (deux !) candidats trotskistes. Par fidélité anachronique à notre jeunesse et par méfiance de celle qui nous aura succédé, nous louerons demain ce que nous méprisons aujourd'hui : Le président Fallières, disait mon arrière-grand-mére, voilà un grand monsieur.

Vieillir, et voir remplacer le ridicule d'hier par un ridicule nouveau auquel on n'est pas habitué. Pis : voir notre ridicule devenir le nouvel acceptable... On aimait moquer les Kevin quand ils étaient rares, en voilà une génération qui arrive, j'en ai accepté un pour stagiaire. Il va falloir se retenir, la frustration creusera l'ulcère, l'aigreur nous vieillira plus encore. Sur qui pourra-t-on encore compter, sinon la vieille noblesse, pour rire encore bêtement ? Hors les Sixte, les Gildine et les Tanneguy, quelques bretons, peut-être, Gildas, Erwan et Enguerran...

Si l'on ne fait rien, demain, nous élirons Président un Matéo ou une Lea. De qui se moque-t-on ?

lundi 12 mars 2012

Autocensure

Inhibé, je suis inhibé comme Kevin oubliant son prénom devant les parents de Manon. Sa mère a repassé son plus beau T-shirt, son appareil dentaire brille comme les chromes d'une clio kittée, il sent bon le biactol et l'after-shave. Il s'est préparé, il a recherché sur internet, il sait différencier les couverts à poisson, il appellera l'archevêque Monseigneur, il ne cherchera pas à s'asseoir à la gauche du sous-préfet. (Il a été déçu, mais pas surpris, d'apprendre qu'on pouvait avoir à sa table des archevêques et des sous-préfets, quand ses propres parents n'en invitent jamais.) Dylan l'a aidé à répéter : Bonjour Monsieur ; mes hommages Madame.

Il est fin prêt quand la porte s'ouvre. Un gros monsieur à moustache lui sourit, une dame joviale à ses côtés porte un tablier à fleurs et derrière eux Manon l'encourage du regard. Mais Kevin ne dit rien. Vous devez être le Kevin. Et Kevin ne dit rien. Vous avez trouvé facilement ? Et Kevin ne dit rien. Chéri, fait donc entrer Kevin. Kevin entre mais ne dit rien. Oubliées les formules de politesse, évaporés les couverts à poisson : Kevin ne se souvient plus que des interdits. Vous ne parlerez pas de religion, vous ne parlerez pas de politique, vous ne parlerez pas de sexe. La religion, la politique, ça ne lui serait pas venu spontanément, mais à dix-huit ans, hors du sexe, que dire ? Alors Kevin se tait, et Manon rit bêtement, et ses parents se resservent du vin.

Inhibé, vous dis-je. Je ne peux tout de même plus parler de sexe, j'ai passé l'âge. Côté cuisine, il est trop tard, peut-être, pour avouer que je n'aime pas l'agneau. Je sais reconnaître les couverts à poisson mais je ne m'en vante pas. Le préfet de département passe avant le préfet de région hors de son propre département, mais le lecteur le sait s'il a lu le Gandouin.

Que reste-t-il à écrire ? Que Belle-maman, désormais, lit ce blog.

dimanche 29 janvier 2012

Billet n°414 : Où l'on rend hommage au temps jadis...

Résumé des épisodes précédents

Par une froide nuit d'hiver qu'une lune glacée plongeait dans une obscurité laiteuse, alors que le hibou lugubre ululait au loin et que la chouette effrayait les passants, alors que l'inspiration peinait à venir à l'Auteur qui attendait la muse et, l'attendant, s'amusait au Tetris, alors que l'année commençait dans l'odeur épaisse, acide et fromagère de la raclette mal digérée, alors que des cafards festifs erraient dans l'évier pour y finir les verres oubliés, bref, par une froide nuit d'hiver, un invité frappa à la porte et l'Auteur l'ouvrit. (La porte, pas l'invité.) L'invité arrivait avec sa muse, quand l'Auteur n'en avait plus ; il s'installa au clavier, et blogua, blogua, blogua. On ne revit plus jamais l'Auteur. Jusqu'à ce que...

Une pluie lourde et molle mouillait à grosses gouttes les rues de Lyon cette nuit-là. L'eau cascadait le long des reliefs fatigués que l'asphalte recouvrait. Cloportes et limaces lascives s'allongeaient dans les flaques liquides. Les longs lombrics longeaient les feuilles mortes que la pluie plaquait au sol. La terre avide s'abreuvait du nectar que Jupiter lui envoyait.

(Des Auteurs plus sensationnalistes ou moins paresseux auraient poursuivi cette description, auraient parlé de la résistance des réverbères aux éléments déchaînés, mais à quoi bon ? La rue était calme, il y pleuvait, certes, mais il ne s'y passait rien. En revanche, à la façade d'un immeuble, une fenêtre brillait. Coupons court, donc.)

Malgré la pluie, à la façade d'un immeuble, une fenêtre brillait.

*   *
*

Ç'aurait pu être une ancienne gloire du cinéma muet, un play-boy sur le retour ou un mafioso distingué ; ce n'était que l'Auteur, dans sa tenue d'intérieur, tel qu'il passait désormais ses journées : dans sa robe de chambre mordorée, il avait ce charme grandiose et fané des gloires passées, celui de ces palaces de villes thermales dont les stucs s'effritent, les ors se ternissent et les tapis perdent leurs couleurs sous la poussière. Il passait ses soirées entre son cabinet à alcools, un globe d'acajou marqueté, et son fauteuil club dont le cuir fauve s'accordait au cognac qu'il venait se servir.

L'Auteur s'assit et porta le verre à ses lèvres et, à peine le liquide eût-il touché ses lèvres, il se figea. Dans un récit de moins bonne tenue, il aurait écarté lentement le verre de sa bouche, l'aurait fixé avec des yeux écarquillés où aurait tremblé un instant une étincelle d'horreur avant que son regard ne s'éteigne ; le verre échappé se serait fracassé sur le parquet et le feu de la cheminée aurait dansé comme un farfadet joueur dans le cognac répandu ; son corps, empoisonné, mort, se serait affaissé dans le fauteuil. Il aurait fallu inventer un détective qui aurait vainement relevé des indices et un professeur d'un lycée voisin qui aurait finalement résolu l'affaire.

Mais ce n'était pas la mort que l'Auteur avait aperçu dans son cognac : comme la geisha au fond d'un verre à saké du meilleur goût, c'était sa muse qui était revenue.

L'Auteur s'est alors levé et, d'une voix encore mal assurée, dit à son invité :

J'ai une idée de billet.

Fin du billet n°414 : Où l'on rend hommage au temps jadis...

  • L'Auteur renouera-t-il avec l'écriture ?
  • Arrivera-t-il enfin à commencer un billet à propos de J. Edgar, de Clint Eastwood ?
  • Dira-t-il deux ou trois mots de Kingsley Amis ?
  • Verra-t-on enfin des dessins de wombats sur ce blog ?

Vous aimeriez bien le savoir, hein ?
Eh, bien ! Rendez-vous au prochain billet !

vendredi 23 décembre 2011

Euclide, à l'aide !

Il m'arrive de tomber sur Des chiffres et des lettres, on ne se refait pas ; je suis toujours passable en lettres à cause de l'habitude du scrabble, jeu auquel je suis nettement moins passable. Eh oui : le mot le plus long peut faire jusqu'à dix lettres, alors qu'un scrabble fait le plus souvent sept ou huit lettres, d'où une limitation quand on doit chercher un mot avec plus de lettres à organiser. Mais je voulais parler chiffres. ... Troisième... Première... Troisième... Deuxième... 597 ! Non, ça n'est plus comme ça, le plus vieux jeu du PAF s'est modernisé (un peu).

Pour le compte est bon, plusieurs petites techniques sont bien utiles : connaître des carrés ou des cubes parfaits, savoir multiplier rapidement par 11 (11 × 57 : il y a au moins 5 centaines, 7 unités, donc 507 ; vous ajoutez 5 + 7 = 12 dizaines et obtenez 11 × 57 = 627), entre autres exemples. Un des moyens basiques pour parvenir au bon compte est de rechercher les diviseurs simples ou diviseurs proches du compte à trouver. 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9 et éventuellement leurs multiples plus grands. Avec un peu d’entraînement c'est un jeu d'enfant. C'est facile justement parce que des critères simples de divisibilité par 2, 3, 5 et 9 existent. Et la division par 7 ? L'adage veut qu'aucun critère de divisibilité par 7 ne soit simple, ou en tout cas qu'aucun ne soit plus simple que d'effectuer la division. C'est ce qu'on m'a appris à l'école. C'est inexact au moins pour un nombre de trois chiffres. A fortiori si on raisonne de tête. Ce qui est plutôt amusant, c'est qu'on ait pu rechercher autant de critères de divisibilité par 7 différents.

Par exemple, celui-ci, très simple : un nombre est divisible par 7 si la différence entre son nombre de dizaines et le double du chiffre de ses unités l'est. 343 est divisible par 7 parce que 34 − 2 × 3 = 28 l'est. Hop, ça se voit tout de suite. Un autre ? Un nombre est divisible par 7 si la somme de deux fois son nombre de centaines ajouté au total des unités l'est. Pour 343 : 2 × 3 + 43 = 49, divisible par 7. Pour 399 : 2 × 3 + 99 = 105 et 2 × 1 + 5 = 7, divisible par 7 (10 − 2 × 5 = 0 divisible par 7, ou 105 = 70 + 35 divisibles par 7, sont immédiats également).

Celui-ci, un peu plus compliqué mais bien amusant. On découpe le nombre par tranches de deux chiffres en partant des unités. On cherche la distance entre chaque nombre de deux chiffres et le multiple de 7 le plus proche, alternativement par excès et par défaut puis on écrit les restes dans l'ordre inverse de leur obtention. On itère jusqu'à obtenir éventuellement un multiple de 7. Je vous l'accorde, c'est plus spectaculaire avec un grand nombre. Exemple avec 399. Découpe : 3 | 99. Puis 3 = 1 × 7 − 4 (par excès) et 99 = 14 × 7 + 1 (par défaut). Il ressort un 14, 399 est donc divisible par 7.

Avec quelques souvenirs d'arithmétique, on démontre les critères ci-dessus ; il y en a beaucoup d'autres, et en cherchant un peu on trouverait son propre critère.

La morale réside dans le fait qu'on a beau savoir la possible divisibilité par 7 du compte à trouver, pour progresser il faut de toute façon faire la division...

jeudi 23 juin 2011

Cinq fruits et légumes frais

Un casus belli récurrent de mon enfance étaient les légumes verts. Un instant. Relisez lentement cette phrase : un casus belli récurrent de mon enfance étaient les légumes verts... Voyez le déplacement du sujet et le verbe qui s'accorde tout de même avec ce dernier. Cette phrase est parfaitement saine, et pourtant elle semble fausse. Exactement comme les légumes verts.

Le concept de Légume Vert en était un que mon cartésianisme juvénile rejetait spontanément. Le Père-Noël, Dieu ou la petite souris, passent encore, mais le Légume Vert, non. Un seul contre-exemple défait une théorie. Pourquoi, alors, ma mère niait-elle encore et encore l'évidence ? Mange tes légumes verts, me disait-elle, mais je doutais devant mon chou-fleur (beige), mes aubergines (noires), mes carottes (rouges), mes betteraves rouges (violettes), mes poivrons (bigarrés) ou mon maïs (jaune, malgré le Géant Vert).

Celui qui a forgé cette expression était ou daltonien ou pervers. Je lui dois une enfance faite de doute et de relativisme, ballottée de fausse vérité en certitudes anéanties. Légumes verts : l'aubergine, le poivron sont des fruits ; le chou-fleur est une fleur ; le maïs une graine. Comment croire ensuite qu'ils puissent être bons pour la santé ? Le salsifis me donne la colique.

Fourbe comme un légume vert pas vert, oui ! Tenez, dimanche dernier au marché : il avait l'air tout charmant, tout mignon, ce petit chou (blanc). Je me le ferai bien, cette semaine, me dis-je ; il m'aura fait la semaine, vous dis-je. Les petits choux blancs ne sont petits que jusqu'à ce qu'on les découpe : ils tenaient dans la main, ils débordent du faitout. Tous les midis, j'en ai mangé, et un soir aussi : je n'en suis venu à bout qu'aujourd'hui.

De rage, je le suis, moi, vert.

dimanche 12 décembre 2010

Quarante-deux

Puisque vous me posez la question, permettez-moi d'y répondre sans détour. Le sujet est trop grave pour se contenter de faux-semblants ou de demi-mesures ; pour autant, il nous faut éviter les pièges des extrêmes : il est trop simple de critiquer l'angélisme de ceux qui tiennent à certains principes fondamentaux, il est trop rapide d'appeler cynisme le pragmatisme de ceux qui affrontent la réalité telle qu'elle est. J'aimerais dire qu'il faut, aujourd'hui, sortir des vieilles postures, faire bouger les lignes et bâtir des ponts : ce n'est plus l'heure de la politique politicienne telle que la font mes adversaires. Ce qu'il faut, c'est vaincre les conservatismes sans brader nos traditions, faire fi des idéologies du passé sans négliger nos fondamentaux, affronter avec courage l'avenir non sans rassurer ceux que l'avenir inquiète. C'est pourquoi j'appelle à se rassembler autour de moi les hommes et les femmes de progrès, les hommes et les femmes de conscience, les hommes et les femmes de bien. Voilà ma réponse.

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