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vendredi 3 septembre 2010

Zanimos

La peinture à l'huile, disait le poète, c'est plus difficile, mais c'est bien plus beau que la peinture à l'eau. Le poète a toujours raison — c'est un autre poète qui le chantait. (Charité bien ordonnée, etc.) Plus beau, donc, admettons ; mais beau ? Pas toujours. Une visite récente au Musée des Beaux Arts m'a détrompé : certains peindraient au beurre que leur art ne serait pas plus indigeste.

Mais ne médisons pas : l'art est difficile, quand la critique est aisée. J'en souffre. Voici une confession : j'aurais voulu être un artiste, oui, mais animalier. Comme Pompon, le sculpteur, ou Géricault. J'en vois des cultivés qui font la grimace : Géricault, un peintre animalier ? Si, si : tout de même, tous ces chevaux ! Et le Radeau de la Méduse !

Bref, artiste animalier. Attendrir mes amis à coup de chatons, illustrer les calendriers des postes, faire des moulages de canaris : voilà un doux rêve. Un pis aller, certes : c'est au premier jour qu'il aurait fallu exercer, à la droite de Dieu, pour barioler le zèbre et peinturlurer le paon. Mais, quoi, portraiturer des yorkshires dans les quartiers chics, on s'en contenterait : les vieilles dames s'amourachent si facilement de nos jours, surtout des artistes, et leurs poches sont si profondes...

Ah... artiste animalier, si seulement. Ce n'est pas faute d'essayer, encore et encore, mais ce n'est point commode d'être à la mode quand on est un artiste comme moué. La ressemblance y est pourtant, le plus souvent. Une ressemblance synthétique, anisotrope et statistique, certes, mais quoi ! Dubuffet faisait bien des Portraits à ressemblance extraite, à ressemblance cuite et confite dans la mémoire, à ressemblance éclatée dans la mémoire de M. Jean Dubuffet, peintre. (C'est le titre d'une de ses expositions.)

Non, ce n'est pas la ressemblance, le problème... L'angle, c'est là qu'est l'os.

Je dessine des animaux beaux, émouvants, rigolos, tout ce que vous voulez mais qui regardent vers la droite. Tous. Sauf les cloportes, que je ne sais faire qu'en vue de dessus, et les puces qu'en vue de très loin. Mais sinon, tous mes animaux contemplent avec un sourire niais un horizon oriental indéfini. Cela me bride, comprenez-vous ? Quel sujet puis représenter, dans ces conditions ? La traversée des Alpes d'Hannibal et le renifflage du derrière de Médor. Une frise de wombats pour décorer une chambre d'enfant, à la limite, ou d'ibis pour l'intérieur d'une pyramide. Est-ce assez pour une vie ? Est-ce assez pour une œuvre ? Est-ce assez pour une carrière ?

Satané Mirza, tiens.

dimanche 25 avril 2010

A la manière de T.P.

Dérivant à travers les profondeurs glacées de la nuit spatiale, un point de lumière s'approchait, grossissait et se réchauffait. En plissant les yeux, on devinait des poussières colorées qui tournaient autour de lui comme des moustiques se réchauffant autour d'un lampadaire. À leur tour, ces brimborions indistincts enflaient et, coquets, se paraient de couleurs. En s'approchant, ils défilaient tous, les uns après les autres, exhibant leurs atours pour se faire remarquer : un gros caillou bulbeux passait en valsant avec un autre à peine plus petit ; une immensité plus loin, une grosse balle bleue et excentrique cheminait seule et de guingois ; dans les parages, une autre, encore plus grosse, tournait prudemment pour ne pas percuter sa voisine bancale ; bien plus loin, isolé et hautaine, ridicule et élégante, parée d'anneaux, de bracelets et de colifichets, une géante dansait seule, comme une très grosse dame lassée d'attendre un cavalier ; un géant l'attendait pourtant plus loin, plus énorme qu'elle encore, mais timide et rougissant, n'osant pas l'aborder.

Le point était désormais un disque et sa lumière cuisait la surface rougie de la sphère suivante, aussi sèche et dure que les premières étaient légères et gazeuses, bien plus petite aussi, triste, nue et abandonnée, quand sa presque jumelle, à peine plus proche de l'étoile, grouillait de vie. C'était une orange bleue tachée de brun, de vert et de blanc. Des océans, émergeaient des continents que la glace et la forêt cherchaient à recouvrir. De loin en loin, des petites plaques grises, comme une gale, fumaient et grouillaient : c'étaient des villes où des bestioles s'agglutinaient pour vivre leur vie. Ces animalcules se pensaient pensantes, se savaient savantes, mais se comportaient comme des bêtes : sur un de ces continents, dans une de ces villes, dans un bâtiment sans charme, deux de ces êtres gémissaient, transpiraient et se caressaient.

Mais la planète continuait de tourner, ses sœurs de valser et le soleil de dériver dans la nuit interstellaire.

*

La nuit noire se prêtait aux complots les plus sombres, mais la maréchaussée ne semblait pas inquiète. Deux agents fumaient tranquillement une cigarette à l'abri d'une porte cochère. Un esprit simple aurait pu croire qu'ils prenaient leur pause ; mais les esprits les plus simples ne pouvaient atteindre à la sophistication nécessaire pour comprendre leur théorie policière. Ces deux-là étaient à l'affut : ils surveillaient la porte pour la protéger des voleurs. Car si les voleurs en venaient à voler jusqu'aux portes cochères, que resterait-il ? Il arrivait que certains, notamment des propriétaires des portes cochères, essayent de convaincre qu'il y avait plus utile à surveiller. La discussion se terminait en général lorsque le plus gradé des deux, qui était le cerveau de la bande, déclarait, excédé : On m'reproche de surveiller les portes cochères, mais que dirait-on, hein ? si je les surveillais pas !

Ce théoricien était sergent et sa physionomie portait la marque de toutes ses années passées sous l'uniforme, au comptoir et devant les meilleures tables de la ville, qu'il assurait de sa protection en échange de repas à l'œil. Le cliché aurait voulu qu'on dise qu'il était la tête et que son collègue était les jambes. La réalité, pourtant, ne s'y prêtait guère : de loin, on aurait plutôt dit que le sergent était le ventre et le caporal, l'appendice, ou n'importe quel organe vestigial qui aurait échappé par malchance à l'attention de l'évolution. Les gens disaient de lui qu'il était un pauvre homme parce qu'il n'avait pas de fortune, d'une part, et parce qu'on ne voyait pas d'autre espèce à laquelle le rattacher. Il était petit, difforme, grisâtre, mais content de sa place dans l'univers. Il était heureux de pouvoir tirer la sagesse du sergent aussi simplement et aussi souvent qu'on tire un mauvais vin d'une barrique.

— Sergent, la nuit est noire, hein ?

— Oui, caporal.

— Elle se prêterait pas un peu à tous les complots, sergent ?

— Tss, tss, tss...

Le caporal sentant venir une nouvelle conférence, il s'appuya confortablement contre le mur et sortit de derrière son oreille un mégot qu'il ralluma en l'abritant de sa main. Il remarqua à peine la frêle silhouette qui approchait d'eux dans la nuit : encapuchonnée, masquée, gantée de noir, elle avançait courbée sous le poids des pots de peinture qu'elle portait. Elle n'était plus qu'à quelque mètres des deux agents quand ceux-ci l'aperçurent : elle se dirigeait vers la porte cochère où ils étaient abrités.

— C'est bien le 80, ici, monsieur l'agent ?

— Oui, jeune homme.

— Merci bien.

Le jeune homme tout de noir vêtu frappa à la porte et, aussitôt, une petite trappe s'ouvrit sur un regard méfiant. Le mot de passe ? Les deux agents se faisaient tout petits pour ne pas déranger et pour ne pas risquer qu'on leur demande d'aller fumer sous une autre porte cochère. Le jeune homme réfléchit un instant avant de répondre. Les écureuils du parc central sont tristes les lundis. La trappe se referma aussitôt et, un instant plus tard, la porte s'entrebâillait. Le jeune homme en noir salua les deux agents d'un signe de tête et disparut.

— Qu'est-ce qu'on disait, caporal ?

— Vous alliez m'expliquer que la nuit noire ne se prête pas à tous les complots, sergent.

— Ah ! oui...

*

Les petits êtres pressés qui couraient à sa surface ne s'en doutaient pas, mais la planète avait une mémoire. Pas une mémoire gravée à la surface de la pierre, comme celle des hommes ; mais une mémoire qui était la pierre : chaque pli, chaque cristal, chaque crevasse était un souvenir. Quand les hommes rêvaient pour ne pas oublier, la planète entrait en éruption, tremblait et métamorphisait. La planète se souvenait. Et elle comptait les tours, un après l'autre, milliard après milliard.

*

— Réfléchis, un peu, caporal : les comploteurs ne complotent pas la nuit ! Qu'est-ce qu'il veut le comploteur, hein ?

— Euh... Comploter, sergent ?

— Non ! Enfin, si, mais pas seulement : ce qu'ils veulent, les comploteurs, c'est ne pas se faire repérer. Du coup, ils se cachent, les comploteurs, ils cherchent à être invisibles. Et comment être invisible, caporal ?

— Euh... En se cachant dans la nuit noire qui se prête à tous les complots, sergent ?

— Mais non ! Tu t'imagines que les comploteurs vont passer inaperçus en se baladant la nuit tout habillé de noir ? Mais tout le monde saurait que ce sont des comploteurs ! Ça ne marcherait pas. Tiens, prends ces messieurs.

Quatre homme vêtus, encapuchonnés, masqués et gantés de noir poussaient dans la rue une caisse montée sur roulettes. Celle-ci était recouverte d'un drap noir et faisait Mrouuuuuuuu ! à chaque à-coup. Voyant qu'on parlait d'eux, ils s'arrêtèrent, un peu mal à l'aise.

— Messieurs, rassurez donc mon collègue. Est-ce que vous êtes des comploteurs ?

— Nous, des comploteurs ? Quelle idée !

— Ah ! Ah ! Quel humour, monsieur l'agent.

Mrouuuuuuuuuuuuuuu !

— Non, nous cherchons simplement le numéro 80.

— Tu vois, caporal, ces messieurs cherchent simplement le numéro 80, ce ne sont absolument pas des comploteurs. C'est ici, le numéro 80, messieurs.

— Ah ! Merci.

L'un des hommes frappa à la porte tandis que les trois autres empêchaient la caisse de redescendre la rue. La trappe s'ouvrit de nouveau : Le mot de passe ? L'homme en noir eut un mouvement de recul. Quel mot de passe ? Les yeux derrière la trappe se firent plus suspicieux : Le mot de passe. L'homme en noir se tourna vers les autres larrons.

— L'un de vous connaît le mot de passe ?

— Oui, c'est Le hérisson de la librairie est élégant en semaine.

— Mais non ! c'est pas un hérisson, c'est un hippopotame, et ce n'est pas en semaine, c'est le dimanche.

Mrouuuuuuuuuuuuuuu !

— Tu es sûr que c'était un hippopotame ? C'est pas très élégant, un hippopotame. Ce serait pas plutôt un wombat ?

Celui qui avait frappé à la porte regardait, stupéfait, ses acolytes chercher un consensus. Discrètement, le sergent tira sur la manche de sa robe noire pour attirer son attention. L'homme se pencha et l'agent lui dit à l'oreille le mot de passe qu'il répéta à la trappe. La porte s'ouvrit et l'homme se retourna vers ses amis qui discutaient toujours.

Le wombat du lycée est velu le vendredi, du coup ?

— Hep ! La porte est ouverte.

— Ben, on n'avait pas dit que c'était un pélican blanc ?

Hého ! La porte est ouverte.

— Mrouuuuuuuuuuuuu !

Stop ! La porte est ouverte.

— Ben, fallait le dire.

Une fois la caisse poussée à l'intérieur, l'homme en noir revint voir le sergent et lui serra la main.

— Merci beaucoup, monsieur l'agent.

— Bon courage.

*

La planète ne tenait pas le compte des naissances et des morts des humains, comme les humains ne tiennent pas le registre des éphémères. Parfois, cependant, une étoile apparaissait, une autre s'éteignait dans un dernier coup d'éclat, et cela suffisait à rompre la monotonie d'une ronde sans fin.

*

— Et donc, sergent, les comploteurs complotent en journée pour qu'on ne devine pas qu'ils sont des comploteurs ?

— Exactement ! Et ils s'habillent comme toi et moi, pour passer inaperçus !

— Vous êtes sûr, sergent ? Les comploteurs portent l'uniforme ?

Mrouuuuuuuuuuuuuuuuuuuu !

Le sergent profita de la distraction pour contourner le point faible qui venait d'apparaître dans sa théorie du complot. Il prit son air le plus officiel et frappa à la porte comme tant d'autres avant lui. La trappe s'ouvrit immédiatement.

— Besoin d'aide, citoyen ?

— Merci, monsieur l'agent, mais ça ira : l'éléphant de la maison ne se laisse pas peindre, aujourd'hui.

— Si vous le dites...

Et la trappe se referma. Le caporal avait l'air narquois.

— Quoi ?

— Et donc, sergent, les comploteurs portent l'uniforme ?

— Oui, caporal, les comploteurs portent l'uniforme, ça va de soi : si tu ne veux pas sortir du commun, il te faut viser l'uniformité. Et pour ça, tu portes l'uniforme.

— Ah.

Le caporal laissa là la conversation pour un instant et il prit le temps de réfléchir. Plus le temps passait, plus son visage se déformait d'inquiétude. Il finit par craquer et demanda :

— Mais alors, sergent, on risque d'être pris pour des comploteurs !

— Mais non, caporal, puisqu'il fait nuit noire !

Un jeune homme fatigué arriva à ce moment-là près de la porte cochère. Tandis qu'il cherchait ses clefs, les deux agents le dévisagèrent longuement. Sa tenue avait éveillé leur suspicion : il n'était ni vêtu de noir, ni ganté de noir, ni encapuchonné de noir. N'était la nuit noire, ils l'auraient immédiatement arrêté pour complotage. Le jeune homme approcha de la porte, salua d'un signe de tête les deux agents et introduisit sa clef dans la serrure. Le sergent se pencha vers lui d'un air important.

Les écureuils du parc central sont tristes les lundis.

— Ils ont bien raison : je n'aime pas les lundis. Bonsoir.

À peine la porte fermée, une clameur retentit dans la maison : Surprise ! Puis, l'instant d'après : Mrouuuuuuuuuuuu ! Le sergent et le caporal se regardèrent un instant en cherchant à comprendre. Ils échouèrent.

— Viens, caporal, on va trouver une autre porte à surveiller. Personne ne volera celle-ci, avec tout ce va-et-vient.

*

Et la planète continue de tourner. Elle se souvient des comètes, des naissances des étoiles et des morts des galaxies. Mais elle ignore et ignorera à tout jamais ce qui se passe à sa surface. Elle ignore qu'il y a trente ans je naissais. Comme elle ignore que mes amis, cette semaine, m'ont offert un éléphant bleu.

mardi 9 mars 2010

Quand ils seront grands, je serai nègre

Stupéfaction : j'ai lu, dans Le Monde daté du 5 mars 2010, que le journaliste François Forestier tire bon an mal an, 100 000 euros de son activité de nègre. Pourquoi ne nous dit-on pas ça lorsqu'on est au lycée ? Que font les conseillères d'orientation ? On nous vend du glamour, on nous impose du raisonnable, on nous veut ingénieur, ou pompier, ou astronaute, alors que c'est nègre qu'il faudrait être !

La valeur peut ne pas attendre le nombre des années, mes années impatientes se lassent d'attendre la fortune. Aussi envisagé-je ma reconversion. Ce qu'il me faut, c'est un échantillon, comme sur les marchés de Provence : un petit machin rigolo que je montrerai aux éditeurs pour leur fourguer ma camelote et gagner ma croûte. Il suffirait que je me fasse la main sur un ami, en tout bien, tout honneur, que je lui trousse une petite autobiographie. Je ne manque pas d'amis brillants, je n'ai que l'embarras du choix, pensé-je...

Il m'a pourtant fallu choisir et trier parmi mes amis, comme Barbe-Bleue se demandant laquelle de ses femmes il allait pouvoir dévorer. Jocelyn est une pièce de choix, mais l'on attendrait d'un traducteur d'Aristote qu'il se cuisine lui-même. Camille est prometteuse : une dompteuse de fauves, une aventurière dans la jungle, bref un professeur en banlieue parisienne ; mais tout cela sentirait le réchauffé, le ragout de Maya Goyet. Olivier, alors ? Mais qui lit encore des biographies de mathématiciens, à part Romain ?

Non, il me fallait viser plus exotique, sans vouloir vexer quiconque. Après bien des hésitations, je n'en ai gardé que trois, que je vous demanderai de ne pas me voler.

  • Bertrand a une belle plume, ç'aurait dû être un inconvénient ; mais il me suffit d'attendre. Dès qu'il sera président d'une entreprise du CAC 40, ministre d'État, que sais-je ? aventurier-milliardaire façon Richard Branson, il n'aura plus le temps d'écrire. Déjà, alors qu'il n'est encore rien de tout cela, il ne blogue plus. Son autobiographie tiendra le lecteur en haleine par un secret dont je retarderai encore et toujours la révélation ; un détail, un manque que le lecteur aura en tête et que je viendrai titiller pour lui du bout de ma plume, comme une dent creuse que l'on teste du bout de la langue ; une demi-incisive manquante dont on cherchera la trace. On inventera un Rosebud : ce sera un ciré jaune, sur des rochers de la côte bretonne, et un plongeon dans un petit trou d'eau.
  • Il y en a toujours un, pour tous les films. C'est un homme entre deux âges, ni gros ni maigre, ni beau ni laid. Il n'a jamais l'air de rien faire, mais il est sur toutes les photographies de plateau : sa tête dépasse d'une épaule, on le devine dans la pénombre, il meuble un coin de l'image. C'est celui qui semble seul et triste quand tout le monde rit à une blague de la vedette. Lorsque Valentin sera le nouvel Orson Welles, je serai celui-là. Son ombre, son fantôme, son rien. Je n'aurai pas mon nom au générique de ses films, ni sur la couverture de son autobiographie, mais j'écrirai tranquillement sa légende, celle d'un homme né sous le signe du cinéma, dans une fatalité nivernaise. Nevers est une grande ville, un enfant peut en faire le tour à pied. J'ordonnerai à Resnais et Duras de s'être penchés sur son berceau et c'est ainsi que, de sa vie, je ferai un destin.
  • Je devrai bien reconnaître que je me serai trompé lorsque, confortablement installé dans son jet privé, je recueillerai les confidences de ce magnat de l'agroalimentaire. MIAM : We feed the world. Antoine aura eu raison, contre moi. Je serai beau joueur, mais comment ne pas l'être ? et je le suivrai dans sa tournée des producteurs : tel Néo-Zélandais qui fournit des kiwis locaux aux populations locales, tel cultivateur des rives du Niger qui fourgue des melons aux Nigériens, tel Auvergnat dont les myrtilles équitables nourriront Clermont-Ferrand. Grow local, think global. Mon amour propre en aura pris un coup, mais je rapporterai des ananas de Martinique.

Et lorsque je serai vieux, que mes économies auront fondu à l'approche de tant d'étés, que ma fortune aura été dilapidée en tant de pilules miracles, que j'aurai ruiné ma vie dans la quête toujours renouvelée d'un inaccessible ventre plat, à mon tour, j'engagerai un nègre, pour qu'il raconte tout cela, au passé. Cela m'assurera bien une petite retraite.

dimanche 7 mars 2010

Billet optimiste

Deux pessimismes à éviter : d'un côté, croire à un âge d'or à jamais révolu, à un jardin édénique dont nous aurions été définitivement chassés, aux jeunes qui étaient plus jeunes quand nous l'étions aussi ; de l'autre, craindre une déchéance inéluctable, une souillure dont nous ne saurions plus nous laver, un lendemain qui ne vaudrait pas notre aujourd'hui apeuré. La même peur approchée de deux côtés différents, le même fatalisme masochiste.

Démonstration par le rut, puisque le printemps approche.

Les antiques, dont l'Antiquité était le présent, s'étaient inventé un âge d'or très pittoresque qu'ils avaient peuplé de Dieux, de Titans et de bestioles en tous genres. Prométhée, qui était un Titan, volait le feu au Dieu ; un aigle lui dévorait conséquemment le foie. Les hommes, au milieu de cette ménagerie, subissaient, égarés. Rares, ceux qui se rebellent : Hercule, dans son berceau, étouffe les serpents envoyés par Héra. Pendant ce temps, Zeus se change en cygne pour charmer Léda, en taureau pour engrosser Pasiphaé, en pluie d'or pour rejoindre Danaé.

Ça, un âge d'or ? Les mortels vivaient dans la peur, les fermiers n'osaient plus envoyer leur femme à la basse-cour : telle petite poule pouvait être Apollon ou telle oie, Bacchus. Comment savoir ? Les gens prudents devaient prendre les enfants du bon Zeus pour des canards sauvages, et réciproquement. Une giboulée de mars, une averse de grêle, une chute de neige pouvaient causer une grossesse, et les rayons de lune, et l'éclat du soleil. Le lit conjugal n'était plus qu'une mauvaise farce : cette femme était-elle bien l'épouse aimée ou Aphrodite déguisée ? cet homme barbu, était-ce Héra, jalouse, qui venait se venger ? étais-je même moi-même qui honorais l'être cher, ou un simple vaisseau pour un dieu en goguette ?

Les amours étaient angoissées et suspectes à force d'être météorologiques, zoologiques et vaudevillesques. Pour parler en ingénieur, notre époque a gagné en fiabilité et en sécurité. Cet homme est un homme, cette femme est une femme. (Sauf exceptions.) On y a perdu en fantaisie, sans doute : ce n'est pas tout les jours que l'on couche avec une pluie d'or, les douches dorées ne sont qu'un pis-aller ; mais la gêne a disparu, faisant place au plaisir.

Le corps n'est plus ce mauvais déguisement de mardi gras qu'empruntaient des divinités en manque de loisirs ; il exulte et ne demande qu'à sentir, qu'à jouir, qu'à aimer. Demain, le printemps sera là : le corps se dévoilera de nouveau. La peau se soumettra aux caresses du soleil, au frôlement des regards. La jeunesse se montrera, tout en fraîcheur, en muscles et en pulpe.

L'avenir s'annonce radieux.

mercredi 3 mars 2010

Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaargh !

Je fais amende honorable. Je bats ma coulpe. Je me flagelle avec des orties. Bio, les orties. J'ai été méchant, j'ai mérité ma punition, j'expie ma faute. Le libéralisme me possédait, ma propre liberté m'enivrait, l'Humanité pleurait mon égoïsme. Cesse de pleurer, pauvre Humanité, je me repens, je suis à tes côtés. Pour peu qu'un souhait, un seul, me soit exaucé. J'ose à peine le formuler, la honte m'étreint, je suis mortifié. Est-ce que je pourrais... Non, c'est trop affreux. Comment osé-je ? Mais pourtant si. Il faut que cela soit dit.

N'ont-ils que ça à faire tous ces gens altruistes ? Comment ont-ils pu accumuler toutes ces saloperies, toutes ces conneries, toutes ces babioles et ces brimborions ? Et il faudrait recycler ça ! Mais qu'on brûle le tout ! Je m'engage à capter le dioxyde de carbone émis moi-même, tout seul, dans mes petits poumons asthmatiques ! Mais par pitié, que cela cesse ! Laissez-moi, ne me sauvez pas, oubliez mon âme, à d'autres la rédemption, confisez-moi dans mon égoïsme et mon irresponsabilité ! Gardez le DVD de Michèle Bernier ! (Elle ne m'amuse pas et je n'aimais pas le professeur Choron, non plus. Cela fait du bien de le dire.) Gardez votre collection de porte-clefs ! Gardez votre tondeuse, vous qui êtes à Brindas ! Laissez-moi, je vous en prie !

Quatre-cent-cinquante courriels en trois jours. Combien de kilowatts pour router, pour résoudre, pour transférer, pour stocker, pour afficher tout ça ? Combien de temps pour les écrire ? Combien de temps perdu à ne même pas les lire, à les voir passer, à les ignorer, à les supprimer ? Combien de dioxyde de carbone émis, combien de bébés phoques tués pour un déguisement offert à Gerland ?

J'ai bien compris que je devais adhérer à une AMAP. Promis, j'y pense. Mais puis-je, s'il vous plaît, en toute humilité, en toute fraternité, me désinscrire de Freecycle ?

samedi 27 février 2010

Doryphores

Quand j'étais enfant, il y avait des doryphores dans le jardin de mon grand-père ; plus tard, il y en eut aussi dans mes versions grecques, même si Mme Massaux insistait pour qu'on les appelle des porte-lances ; il y en a encore plein les musées, sur les ventres des outres ou dans les fonds des assiettes. Pourtant, ni dans les musées, ni dans les textes antiques, ni dans le jardin de mon grand-père, il n'y avait de pommes de terre. Pauvres bestioles : leur réputation doit être exagérée. Les maraîchers nous les présentent comme des monstres gloutons ; les hellénistes, comme des guerriers sanguinaires. Moi, de tout temps, je les ai trouvés très jolis, tous : les doryphores des musées me troublaient, avec leurs jambes élancées, leurs poitrail puissant et ce que Homère appelait leur lance virile ; ceux des guerres antiques apportaient une touche de fantaisie à nos traductions et enrageaient Mme Massaux ; ceux du jardin étaient costumés comme au théâtre, dans leurs carapaces de velours rayé d'or.

De cette époque, sans doute, date mon goût pour chercher la petite bête. Aux doryphores, les patates — je me charge des haricots.

samedi 20 février 2010

Thesaurus

On équeute les haricots verts, on écosse les petits pois, on égraine le raisin ; on décortique les noix, on monde les amandes, on dénoyaute les cerises ; on concasse les tomates, on hache la viande, on presse les fruits ; on cisèle la ciboulette, on pile l'ail, on émince les oignons ; on plume la volaille, on pare le poisson, on débite un bœuf ; on vide le poisson, on désosse la caille, on écaille les œufs ; on faisande le gibier, on vieillit le vin, on affine le fromage ; on allonge la sauce, on réduit le jus, on déglace la marmite ; on abaisse la pâte, on réserve l'appareil, on beurre le moule à manqué.

Ce que c'est, tout de même, d'aimer le jargon et la grammaire ! Ce moule à manqué ! Voilà qui est aussi douloureux que plaisant. Et s'il n'y avait que ça ! Il y a la duxelles de champignon, singulière à force d'avoir l'air plurielle : c'est le cuisinier du marquis d'Uxelles qui l'a inventée — c'est là qu'est l's.

J'aime tout ce que ce jargon, ces verbes qu'on ne croise que dans les livres de cuisine et qui nous laissent désemparés. Julian Barnes en a fait tout un chapitre : hacher finement les oignons ou les ciseler grossièrement, quelle différence ? (C'est dans The Pedant in the Kitchen, que je vous conseille évidemment.) J'aime tout ce jargon car, passée l'inquiétude de mal faire, on y voit la marque d'une technique, d'un art, d'une culture. On ne comprends finement que ce qu'on nomme finement : en l'occurrence,  le passage, le lien d'une nature brute à la sophistication d'une blanquette de veau.

C'est le lien, le passage, le verbe, qui importent : lorsque le poisson est livré cubique, et le fromage carré, et la mayonnaise en tube, la nature s'éloigne jusqu'à disparaître tandis que le vocabulaire s'appauvrit. Salade, tomates, oignons ?

mardi 3 avril 2007

Triptyque ensablé

Volet deuxième : de la délicatesse.

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jeudi 29 mars 2007

Triptyque ensablé

Volet premier : de la virilité.

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mercredi 14 février 2007

Troubles alimentaires

On dit troubles de limentaire quand on est pédant.

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mardi 13 février 2007

Diététique

(Conseils minceur, pour être en forme avant l'été.)

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mardi 23 janvier 2007

Jet Set

L'avenir est sombre.

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lundi 22 janvier 2007

Les orteils ne sont qu'un euphémisme

(Et les vaches de très gros champignons.)  

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vendredi 5 janvier 2007

Plan de carrière

Tout viendra à point à qui saura attendre.

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lundi 1 janvier 2007

Exégèse (suite)

Théologie, cours n°2 : vision pessimiste pour la nouvelle année.

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samedi 14 octobre 2006

Théorie de la mini-conspiration

Billet approuvé par le Comité International pour l'Anéantissement des Minipouces (CIAM).

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samedi 19 août 2006

Dans un instant, la suite de nos programmes...

(Message de service.)

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lundi 5 juin 2006

Artisanat

Ce billet fera-t-il la "une" du 13 heures de TF1 ?

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jeudi 30 mars 2006

Résolvons ensemble les problèmes du sexe

(Puis celui de la supériorité de l'homme au moucheron, une fois que nous serons lancés.)

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mardi 28 mars 2006

Bureau de vérification de la publicité

Ce blog a testé pour vous la petite vieille à roulettes.

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