The sound of silence

Où l'Auteur ne parle ni de Simon, ni de Garfunkel.

Vous connaissez forcément le Bolero de Ravel.

Un gros quart d'heure de non-musique : une idée, juste, une obsession — et un tambour, évidemment ; pas d'événement, pas d'accélération, pas de crescendo — mais un tambour, obstinément ; juste des instruments qui entrent les uns après les autres, certains beaux (la flûte et le celesta, ensemble), d'autres un peu grotesques (les trompettes avec sourdine) — et le tambour, opiniâtrement ; des voix qui se superposent plus qu'elles ne se mèlent, des musiciens sourds qui hurlent dans leur coin plus qu'ils ne dialoguent — et le tambour, imperturbablement. Un gros quart d'heure de non-musique, mais quelle musique pourtant !

Je n'aime pas vraiment Ravel, hors la Valse et le Bolero. Pour tout dire, je n'aime même pas vraiment le Bolero, hors sa toute fin. Mais, Dieu, que j'adore cette fin !

Je sais que cela sonne comme un compliment empoisonné : Le Bolero de Ravel, c'est très bon : surtout quand ça s'arrête. Pourtant je suis sincère. Rejouez-vous les dernières mesures du Bolero : l'idée fixe s'est infiltrée dans tous les neurones de tous les musiciens ; les cuivres la chantent à pleins poumons, les cordes la stridulent à l'unison, la caisse claire prête main forte au tambour. C'est trop, cela ne peut pas durer, l'orchestre va s'épuiser, va exploser. Soudain, il se tait. Ou presque : les cuivres, seuls, beuglent une dernière fois le début du motif. La troisième note reste suspendue un instant, le temps retient son souffle. Et l'idée fixe s'écroule avec fracas, poussée par tout l'orchestre.

Et, là, le silence.

C'est ce silence que j'aime dans le Bolero — ce silence bien particulier où résonne encore le spectre de l'idée fixe, le tumulte de sa chute. Il y a les mêmes silences dans la Symphonie fantastique ou le Poème de l'extase mais ils ne sont pas si beaux : je n'aime pas sa musique mais je préfère les silences de Ravel à ceux de Berlioz et Scriabine.

Il est des maisons de disques qui coupent ce silence. Frustration indicible du silentium interruptum.