Un homme, un vrai

Où l'Auteur arrive à parler de lui en parlant de quelqu'un d'autre.

Il y a dans mon entourage un homme. Un homme, un vrai.

Il n'est pas encore un ami, il ne le sera sans doute jamais, j'ai l'amitié rare et déjà distribuée. Mais il est déjà plus qu'une connaissance pour moi et le restera assurément même si nous nous perdons de vue. Il est des gens comme cela qui comptent pour vous sans que finalement vous les connaissiez vraiment, sans qu'ils vous connaissent vraiment, non plus. C'est peut-être l'image que vous vous faites d'eux, la statue que vous leur érigez, le pied d'estale sur lequel vous les hissez qui vous sont chers. Peu importe. Pas d'image sans objet, pas de statue sans modèle, pas de pied d'estale sans merveille à exposer.

De ces gens-là, cet homme en est. D'ailleurs, il en est, aussi, absolument.

Triste constat : il n'y a guère que deux grands types de gens de mon âge. (J'ai vingt-quatre ans.) Les adolescents attardés, dont l'horizon s'arrête au lendemain. Ils sont fêtards, ils se réveillent sans savoir comment ils sont arrivés dans le canniveau. Ils sont révolutionnaires, ils gesticulent sans savoir comment ils arriveront au Grand Soir. Les adolescents attardés, donc, et les vieillards. Qui secouent la tête en regardant passer le monde autour d'eux. Qui haussent les épaules en pensant que c'est ainsi, qu'il est trop tard, qu'ils sont déjà de trop. Qui avancent entre les vivants en s'excusant déjà de n'être pas plus loin. Tous les autres font exception.

De ces exceptions-là, cet homme en est.

Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait, dit-on. Il a les emportements de la jeunesse - des emportements sans fin, permanents, épuisants - et la pensée du vieux sage. Dieu ! que je me sens vieux, lorsque je parle avec lui. Lorsqu'il s'enflamme, lorsqu'il vitupère, lorsqu'il maudit. Lorsque je souris vaguement en face de lui, en pensant qu'un jour j'ai été comme lui, en pensant qu'un jour - Dieu l'en préserve - il sera comme moi.

Il donne des signes de faiblesse, ces derniers temps, parle de raccrocher les gants, a l'indignation ankylosée. Je n'y crois pas. C'est l'humidité, ça, ça lui passera, j'en suis sûr.

Commentaires

1. Le mercredi 26 janvier 2005, 09:25 par Monster Bill

De quel espèce est l'être, animé ou innanimé, dont FabriceD nous parle aujourd'hui (enfin, hier) ?

2. Le dimanche 6 février 2005, 14:50 par Stitch

Tout le monde n'a pas la chance d'être cynique.