Deux hommes, et plus si affinités

Où l'Auteur poursuit sa série de portraits irreconnaissables.

Un ami mien, qui aura droit un jour à son polaroïd où il pourra comme tout le monde ne pas se reconnaître, m'avait exposé une théorie brillante. Sur le moment, pour lui, elle faisait sens. Dans les pires moments de déprime, pour moi, elle fait sens aussi. Mais, la plupart du temps, je pressens une faille dans le raisonnement. Grosso modo, ça donne quelque chose comme : Qui homines amat, nullus homo amat. La théorie est de lui, le latin de cuisine de moi - le latin, c'est ce qui distingue la théorie de la brève de comptoir.

Il suffit d'un contre-exemple pour foutre en l'air une théorie. J'en ai un couple sous la main. Ou, à défaut, en tête.

Théorisons un rien avant de commencer ; la suite du billet sera donc en latin. Euh... Un instant... Finalement, théorisons dans la langue vulgaire, afin que tout le monde comprenne bien - moi le premier. Si on y réfléchit un instant, on se rend compte avec une évidence saisissante qu'il n'y a que trois types de couples. Trois vous dites-vous ? oui, trois.

D'abord, vos amis qui trouvent l'âme sœur : il y a lui, ou elle, d'abord puis la pièce rapportée. Cas idéal, coup de foudre, pas du couple, ça on s'en fout, mais de vous pour la pièce rapportée. Cas réaliste, la pièce rapportée reste une pièce rapportée jusqu'au jour où vous surprendrez à l'adorer. Catastrophe, une haine intense et durable s'installe.

Ensuite, les couples que vous rencontrez en tant que couples. Que vous vous attachiez, que vous vous détestiez, ils resteront toujours cet être bicéphal un peu monstrueux dont vous ne cernerez jamais trop où commence l'un et où finit l'autre. Jamais l'un sans l'autre, toujours l'un sur l'autre. L'un que vous aimeriez plus connaître, l'autre que vous aimeriez envoyer paître, mais deux pour le prix d'un, ces produits ne peuvent se vendre séparément.

Les couples enfin qui se créent dans votre cercle d'amis. Vous les aimiez séparément, vous les aimez ensemble. Vous les avez vus s'approcher, vous les avez vu se tourner autour et se renifler (dans la plupart des cas, métaphoriquement, dans le cas de mon ami Olivier, littéralement), vous les avez vu se trouver. Vous êtes ému, bien sûr, et un peu fier aussi de les voir ainsi avoir trouvé le bonheur autour de vous. Mais vous les jalousez un peu, aussi, car un peu de ce lien qui les unit désormais est tressé du même fil qui les unissait à vous avant.

Je suis catégorique, il n'y a que ces trois types de couple. Et puis, bien sûr, il y a le dernier type.

Vous rencontrez parfois des gens - du moins je vous le souhaite. Des gens que vous voyez de temps en temps, que vous connaissez mal. Des bonjours dans la rue, des signes de tête, des banalités météorologiques. Puis, un jour, il y a plus. Ils entrent dans votre vie, un peu, et vous entrez dans la leur. Or, coïncidence rare, tandis que vous apprenez à les connaître, ils s'accouplent. Et, au lieu de se dissoudre dans ce couple, ils gagnent en netteté. Le peu que vous saviez de l'un éclaire ce que vous ignoriez de l'autre, les lumières du premier illuminent les zones d'ombre du deuxième.

Ceux auxquels je pense - car ici s'arrête la théorie, ici commence la pratique - ceux auxquels je pense, je les aimais bien avant même que de les connaître vraiment. D'ailleurs, je ne les connais toujours pas vraiment, mais passons. En l'un, j'aime l'humour vachard, l'intelligence certaine (même si nous divergeons souvent), le goût assuré. En l'autre, j'aime une différence, une originalité, une altérité. Ils me font rire et ils me font penser, que demander de plus ?

Qu'ils m'émeuvent. Et ils m'émeuvent.

Je les aime beaucoup séparément, je les aime encore plus ensemble. Les couples, en règle générale, me mettent mal à l'aise car ils m'excluent, moi qui ne suis pas dans leur couple, moi qui ne suis pas en couple. Pas eux. Les couples, en règle générale, me frustrent car il en est toujours un que je jalouse, un que je désire, un que j'envie. Pas eux. Non qu'ils ne soient pas séduisants, tous les deux, mais leur couple est d'une évidence qui résout toutes les tentations.

Billet en forme de rondo : pourquoi vous dis-je tout cela, ce soir ? Parce qu'ils sont mon contre-exemple à la théorie exposée plus haut. Chaque fois que je les vois, si tendres, si complices, si - excusez le mot - mignons, une larme me vient au coin de l'œil.

Une larme d'espoir.

Commentaires

1. Le dimanche 6 février 2005, 13:22 par Val

j'aurais bien une petite larme qui me vient aussi :')

2. Le dimanche 6 février 2005, 14:05 par mAnU

Genre tout de suite tu te sens visé... Quoi qu'il en soit, Fabrice, j'aime beaucoup ce billet en forme de rondo. POur quelqu'un qui aime le classique comme toi, il serait même en forme de rondo veneziano.
J'ai dit une connerie ? :)