L'aidant de la mère

Où l'Auteur pense layettes.

Un couple, c'est un homme et une femme - tout le reste est contre nature.

Approfondissons. Un couple, c'est un homme fort, viril, avec du poil sur le torse, les mains caleuses et une mâchoire anguleuse - un homme, quoi - et une femme douce, gironde, tendre, aimante et surtout féconde - une femme, quoi. Un couple, c'est monsieur qui engrosse madame, c'est madame qui reste au four à cuisiner les victuailles qu'elle achète avec l'argent que monsieur gagne au moulin, c'est monsieur qui lit son journal en fumant sa pipe tandis que madame passe l'aspirateur d'une main, repasse de l'autre et lange les marmots avec les dents. Un couple, c'est ça - tout le reste est contre nature.

Tout est dans l'Ancien Testament : Le sixième jour, Dieu rassembla un peu de poussière, y insuffla son esprit et créa l'homme à son image. Puis, voyant qu'il restait plein de poussière, il lui prit une cote et créa la femme. Et, dans la foulée, l'aspirateur. Il mit l'aspirateur dans les mains d'Ève et vit que cela était bon. Je cite de mémoire. C'est la volonté de Dieu que monsieur se tape madame - mais que cela soit pour la bonne cause, hein ! Croissez et multipliez, leur ordona-t-Il alors qu'Ève, épuisée d'avoir récurré le Jardin d'Eden, aurait risqué la damnation éternelle pour se mettre un petit quelque chose sous la dent. Que l'on baise, ici-bas ! Mais qu'on n'y prenne pas de plaisir, surtout, pas d'émotion, pas de sentiment. Les sentiments sont une idée neuve, une arrière-pensée venue après coup, dans le Nouveau Testament. Les sentiments sont suspects, encore - pensez-vous, si jeunes encore. Monsieur et madame doivent s'emmerder en baisant - tout le reste est contre nature.

Un couple, ça sert à faire des enfants à la chaîne. Et à les élever dans le respect des traditions. À leur inculquer qu'un couple c'est un homme et une femme, que l'homme doit protéger sa femme et la femme ses enfants, que le sexe c'est mal. À en faire des êtres nevrosés, tristes, motones et ternes, qui traverseront la vie de leur petit pas tiède et sans passion - tout le reste est contre nature.

Tout ceci, que nous rabâchent les réactionnaires de tout poil, les bien à droite (mais il y en a à gauche), les bien croyants (mais il y en a d'athés), admettons que cela soit vrai. Comme ça. Pof. Admettons que l'accouplement ne soit qu'à but reproductif, que la place de la femelle soit à la table à langer, que le mâle soit ce roc où s'accroche la famille, comme un lichen vert-de-gris. Et que, de fait, tout le reste soit contre nature.

Si l'on admet tout cela, il faudrait penser à prévenir les manchots qu'ils sont contre nature.

À la fin de l'été, gras et rassasiés, les manchots partent vers l'intérieur des glaces, comme on dirait l'intérieur des terres. Il vont là où la banquise est assez épaisse pour qu'ils s'y reproduisent sans crainte. Pour qu'ils y jeûnent, aussi - pas facile de se nourir loin de l'eau quand on est piscivore. Là, ils vont s'accoupler, dans le joli sens du terme. Ils vont s'aparier. Se rencontrer, se séduire, se trouver. Incroyable qu'un animal aussi grotesque soit capable d'une parade nuptiale si belle, si douce, si tendre. Ils vont danser, se frôler, se choisir. S'isoler et passer à l'acte, tendrement. Puis attendre, côte à côte, l'un contre l'autre, ensemble, que l'œuf vienne. Et l'œuf vient. Des mois déjà qu'ils jeûnent, ensemble - ils doivent se séparer. La femelle épuisée doit retourner vers l'eau pour se nourir. Le mâle couvra en l'attendant. C'est lui qui verra naître le petit, qui lui donnera la première becquée. Et ils se relaieront ensuite, à parité, pour veiller sur le petit, pour aller se nourir. Ils se retrouveront, en couple, en famille, à leur chant. Quand arrivera le début de l'été suivant, ils se sépareront, le père, la mère et le fils, et iront vivre leur vie. Mais, tandis que le gros poussin gris gambadera en se dandinant avec ceux de son âge, ses parents se frôleront, se carresseront, se toucheront une dernière fois. Un long adieu, tendre, mélancolique et résigné.

Contre nature tout ça, définitivement. Et eux n'ont même pas l'excuse de la pomme : pas mangeable, une pomme, avec un bec pareil.

On me dira, et on aura raison, qu'il est ridicule d'anthropomorphiser des manchots. On rira, et on aura raison, de celui dont la vie est si vide qu'il eut l'œil humide devant le spectacle si sensuel et doux de la parade nuptial du manchot. On expliquera, et on aura raison, que Darwin peut expliquer tous ces comportements déviants. Mais, pour la première fois en bientôt vingt-cinq ans, devant ce film superbe, je me suis rêvé père.

Commentaires

1. Le mercredi 9 février 2005, 13:11 par Stitch

As-tu lu "Le pingouin" d'Andreï Kourkov ?

2. Le mercredi 9 février 2005, 14:38 par FabriceD

Oui. C'est admirable, d'ailleurs.
Il a écrit une suite, qui vient de sortir, mais j'attendrai qu'elle sorte en poche pour me la procurer.

3. Le mercredi 9 février 2005, 19:28 par Monster Bill

Avoir l'oeil humide devant tant de douceur n'est en rien risible. Et il n'est pas besoin d'avoir la vie (sentimentale en particulier) vide pour le faire. ;-)

D'ailleurs, je réitère en lisant ce billet drôle, touchant et toujours aussi bien écrit (coquilles mises à part ;-) ). :'-)

4. Le jeudi 10 février 2005, 07:27 par karutcho

Je n'ai pas eu la chance de voir le film ,errant encore dans ce desert culturel qu'est le var profond, mais est-ce que c'est vrai l'histoire des cailloux que l'infortuné mâle doit aller chercher pour sa belle jusqu'a ce qu'un lui convienne pour faire son nid?
Désolé si j'ai dit une bêtise mais assurément pingouin ce serait une belle façon de se réincarner.

5. Le jeudi 10 février 2005, 11:10 par FabriceD

Justement, je m'attendais à voir le coup du caillou moi aussi mais de caillou point. Je suspecte les manchots de tout ignorer de la noble tradition du caillou de fiançailles : ce doivent être les pingoins qui y ont pensé.

6. Le jeudi 10 février 2005, 11:27 par Val

faut pas confondre pingouins et manchots hein!!!

7. Le jeudi 10 février 2005, 14:26 par Obi-Wan

Première lecture et premières impressions...
Je dois avouer avoir cru me retrouver devant un militant de la cause homosexuelle en lisant ce billet...
Ma surprise fût totale en me retrouvant ni plus ni moins devant une vision de la vie suite, je suppose, à "La Marche de l'Empereur".
J'adore ton style...
Vite une autre billet ;-)

Obi-Wan,
Parcourateur de blogs...