Partir avec élégance

Où l'Auteur met des conditions à la venue de la Faucheuse.

J'ai lu une histoire bouleversante. Pour faire court, un vieux monsieur gravement malade a demandé à son meilleur ami de l'aider à se suicider. L'autre l'a aidé à mettre le canon du fusil dans sa bouche, a corrigé l'angle de tir et a quitté la maison. Récemment, il en a parlé. Depuis, il est accusé de meurtre.

Une autre histoire, par association d'idées. Le maire de Clermont-Ferrand fut, longtemps, Monsieur Roger Quillot. Lui aussi était gravement malade. Sa femme et lui ont décidé de partir ensemble et se sont suicidés. Ils ont été secourus. Madame Quillot a été sauvée, pas Monsieur Quillot.

Il y aurait quelque chose d'indécent, je trouve, à faire quelques longs paragraphes où à coup d'effets de style je vous évoquerais l'horreur que m'inspire cette dernière anecdote. Mais j'aimerais vous prendre à témoin et vous donnez quelques unes de mes volontées, que je n'espère pas être mes dernières.

  1. Si un jour, ce sont des choses qui arrivent, je venais à me suicider, qu'on ne me fasse pas l'affront de prendre cela pour un appel à l'aide. Que l'on considère ça comme un choix, qui m'appartient en plein et qu'on ne peut m'interdire. Peut-être sera-ce un aveu d'échec, peut-être sera-ce tout simplement la prise de conscience qu'une voix qui n'a plus rien à dire ne peut que se taire, peut-être sera-ce une erreur. Mais que l'on respecte ce choix. Et qu'on me laisse partir comme et quand je l'aurais décidé.
  2. Si un jour, ce sont des choses qui arrivent, je venais à tenter de me suicider et à me rater, qu'on ne m'inflige pas la honte de survivre ni le fardeau de survivre amoindri. Qu'on m'achève. Humainement, sans me faire souffrir, mais qu'on m'aide à aller au bout du voyage pour lequel j'aurai volontairement embarqué.
  3. Si un jour, ce sont des choses qui arrivent, je venais à être moins que moi-même, si un accident me laissait à demi moi, si une maladie me faisait m'effacer, qu'on me laisse m'anéantir avant que je ne me reconnaisse plus. Qu'on ne laisse pas mon esprit s'éteindre lentement comme une flamme qui aurait trop brûlé, qu'on m'autorise le dernier excès de partir dans un éblouissement. Et, si je ne suis pas capable de ce dernier geste, que quelqu'un soit là, s'il vous plait, pour presser sur la détente, pour pratiquer l'injection, pour débrancher la prise.
  4. Si un jour, ce sont des choses qui arrivent, la Mort me prenait de vitesse, si un accident survenait qui ne me laissait pas le temps de refuser une mort naturelle, qu'on se souvienne que je veux donner mes organes, qu'on m'ouvre sans hésiter ni attendre, qu'on sorte de moi tout ce qui fonctionne encore, qu'on évite le foie peut-être - il aura pas mal bourlingué, le pauvre - mais qu'on m'aide à être utile une dernière fois.

Je sais que certains des gestes que je demande, que j'implore, sont illégaux. Mais ils me semblent humains, tous.

Je vous prie de m'excuser pour ce billet mélodramatique qui, peut-être, vous prendra par surprise au milieu d'une journée d'allégresse. Mais sachez que de savoir que vous saurez tout cela est, pour moi, une source de joie et de réconfort.

S'il vous plait, n'oubliez pas.

Commentaires

1. Le lundi 14 mars 2005, 23:38 par Monster Bill

Oublier, non, mais pour certaines de ces volontés, vouloir les accomplir, c'est malheureusement une autre histoire.
Dans de nombreuses situations, l'être humain s'accroche désespérément à des causes perdues. Alors, imaginons que l'on puisse, ne serait-ce que quelques temps et/ou sous une forme "dégradée", faire vivre encore cet être que nous affectionnons, aurons-nous la force, voudrons-nous exécuter ses volontés de fin de vie ?