Un peu de franchise

Où l'Auteur a l'inélégance de ne pas supporter les compliments.

Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous faire affront. Rien qu'une fois.

Certains d'entre vous ont eu la gentillesse de laisser sur ce blog des commentaires pour dire qu'ils aiment mes écrits - ce blog d'abord et quelques autres petites choses aussi. Bien joué, ceux-là ont compris l'utilité première des commentaires : flatter l'Auteur, le carresser dans le sens du poil, le rassurer pas tant en lui disant qu'il est beau mais en lui rappelant qu'il est vu. Certains - les mêmes parfois, mais d'autres aussi - sont allés jusqu'à me dire en face le bien qu'ils pensaient de moi.

S'il vous plaît, ne vous vexez pas, mais vous avez le compliment trop facile.

Ne voyez-vous pas d'abord pourquoi j'écris ? Et, aussi, pourquoi je joue, pourquoi j'amuse, pourquoi je parle fort et gesticule ? Laissez-moi me montrer à vous dans toute ma petitesse. Dans ma médiocrité. Dans mon pathétique.

J'ai commencé à écrire au lycée pour imiter un homme que j'admirais, j'ai continué à écrire en classe préparatoire pour conserver l'attention d'un homme que j'aimais - je continue d'écrire aujourd'hui pour ne pas être seul. J'ai pris goût à avoir ma cour, j'ai aimé qu'on me demande un autographe dans les toilettes du lycée, j'aime que des inconnus s'adressent à moi en me connaissant déjà. Enfin, je suis quelqu'un. Car qui suis-je sans tout cela ? Un petit être fade et pâle. Un être hybride et flasque, pour reprendre le mot cruel de Yasmina Reza. Sans idées, sans originalité et sans style. Je ne suis que mon culot. Je ne suis que mes éclats.

Alors la surenchère, toujours. Deux épisodes de la Boca del Inferno™ par semaine, autrefois ; huit billets en un après-midi, hier. Un rôle de valet, quatorze répliques, il y a quatre ans ; un premier rôle en calçon, cette semaine. Le type bizarre en costard, il n'y a pas si longtemps ; l'alcoolique folasse, aujourd'hui. Quoi ensuite ? Je ne pourrai pas toujours faire plus - si je veux continuer, il me faudra faire mieux. Oh ! Cela, je veux bien vous l'accorder, je m'améliore, lentement mais sûrement. Mais meilleur je deviens, plus criante se fait cette vérité : je persiste à ne pas être bon.

Car ne voyez-vous pas non plus comment j'écris, non plus ? Ni comment je joue, ni comment je vis ?

J'enfonce des portes ouvertes, je brasse de l'air, je dessine dans le vide de belles figures sans sens. Je le fais avec panache, sans doute, mais sans style. Mon style, je l'ai emprunté. Ma grandiloquence, c'est Hugo, ma drôlerie, c'est Pratchett. Une ancdote pour vous convaincre. Un jour que je lisais du Douglas Adams - du Douglas Adams, bon sang ! encore s'il s'était agi d'un bon, mais Douglas Adams... - je suis tombé sur un long passage, une longue scène où tous les ressors comiques étaient les mêmes que ceux que j'avais utilisés moi-même la veille. Je suis un plagiaire, même et y compris par anticipation. Un imposteur.

D'ailleurs, m'avez-vous vu sur scène ? Claire, avec qui j'ai déjà eu la chance de me produire plusieurs fois, se trompe quand elle dit que je ne joue pas, que je me contente de faire du FabriceD. Quand je fais le FabriceD, je joue déjà. Un imposteur, vous dis-je ! Et un bon, avec ça, je joue à être quelqu'un et vous entrez dans mon jeu. Les plus perspicaces d'entre vous me suspectent d'être superficiel. Raté, mais de peu : je suis creux, je suis vide, je suis une bulle de savon - jolies, les irrisations, non ? mais elles n'enferment rien !

Alors que faire ? Me taire, exploser, accepter ma médiocrité d'ingénieur informaticien ? Non ! Bien trop tôt : il me reste de la marge, encore. J'ai encore des conneries en moi qui ne demandent qu'à jaillir. Et, surtout, j'ai un public. Tant qu'il y aura de la demande, je trouverai bien un petit quelque chose à vous offrir. Mais, justement, la demande va-t-elle survivre à ce billet ? Ne risqué-je pas de vous avoir perdu en me démasquant ? Pratchett me dit que non :

I show them what I do, I show them how the cards are marked, I tell them what I am...and they nudge one another and grin and each one of them thinks no end of a fine fellow to be doing business with me.
Going Postal

Son dernier livre parle de cela, entre autres choses, et avec brio : de ce qu'il faut faire pour continuer d'exister lorsqu'on n'est plus que sa plus belle supercherie. Continuer.

Alors je vais continuer, comme si de rien n'était. Demain, je ne parlerai pas de ce billet. Je le mettrai peut-être même hors-ligne, qui sait. Et je suspecte que vous continuerez à me lire, à sourire de mes frasques et à écraser une petite larme reptilienne sur mes gérémiades. Peut-être même continuerez-vous à prétendre que tout ceci est bel et bon.

Mais ni vous ni moi ne serons plus dupe.

J'espère que vous me croyez lorsque je vous assure que j'apprécie votre présence, votre gentillesse, votre amitié. Mais, pardonnez-moi, vos compliments, je ne les crois pas.

Surtout pas le soir où je n'ai pas été fichu en une heure d'écrire le premier paragraphe du chapitre dix-neuvième de Holes of Fame.