Qu'attend-il donc ?

Où l'Auteur se surprend à rêver de l'Ancien Testament.

Pourquoi s'accroche-t-il donc ainsi, ce vieillard fatigué ?

Je m'égare, que raconté-je ? Bien sûr, la vie est sacrée, comment ai-je pu l'oublier. Autres temps, autres mœurs. Il fut un temps où le sacré tenait à une lumière, à un esprit, à un souffle. Aujourd'hui, le sacré traverse de force un œsophage qui le refuse via une sonde gastrique, un respirateur artificiel l'aide à passer les bronches qui n'en veulent plus, un rein mécanique le déssouille. Le sacré du présent millénaire sera entubé ou ne sera pas. Reste un mystère, tout de même, quoique moins beau peut-être que celui des premiers chrétiens. Un mystère néanmoins. On ne peut user d'artifices, de mécanismes, d'inventions pour empêcher de venir au monde une vie honteuse, une vie douloureuse, une vie impossible, car la vie est sacrée - sacrée la vie de l'enfant dont l'espérance de vie sera de deux semaines, sacrée la vie de l'enfant du viol dont la mère pleurera de haine sitôt qu'elle le verra, sacrée la vie de l'enfant par accident qui ne sera jamais aimé. Mais il est permis, il est souhaitable, il est exigible d'user de toutes les ruses, de toutes les astuces, de tous les stratagèmes pour prolonger de quelques râles une vie qui n'a plus de vie que le nom et - au mieux - les symptomes les plus secondaires - voyez, elle respire, voyez, il urine, voyez, ils vivent. Le profane que j'avoue être ne comprend pas ce mystère, il le laisse au théologiens. D'ici, il semble que la vie soit sacrée mais la dignité humaine non, ce qui me semble absurde. De la Chapelle Sixtine, peut-être la vue est-elle tout autre.

Pourtant, qu'attend-il, ce mourant cent fois surcitaire ?

Ce monde n'est que l'antichambre mal décorée du suivant, où l'on s'assied à la droite de Dieu, où les angelots roses et fessus jouent de la harpe, où l'on a l'éternité pour se demander ce qu'on peut bien faire pour occuper l'éternité. Que n'y va-t-il pas ? Il l'a bien mérité, son p'tit bout d'paradis, sans p'tit coin d'parapluie - car je suspecte le climat de Là-Haut d'être infiniment, uniformément et monotonement paradisiaque. Il a cotisé toute sa vie pour son plan d'épargne retraite, prière après prière, génuflexion après génuflexion, quête après quête. Il est à lui, qu'il réclame son dû !

Mais justement, que craint-il, ce petit homme drapé de blanc sale ?

Craindrait-il finalement qu'existe réellement un Dieu vengeur - pour ne pas démentir l'Ancien Testament - mais juste - pour confirmer le nouveau ? Craindrait-il que l'attendent de l'autre côté tous les enfants surnuméraires morts avant d'avoir pu rire, tous les catholiques fervents dévorés par le SIDA, tous les adolescents battus à mort parce qu'ils n'étaient jamais que des pêcheurs habituels, tous les suicidés, tous les sacrifiés, tous les ignorés ? Ils seront là, tous, tassés, pressés derrière Saint Pierre, sur la pointe des pieds pour mieux revoir leur bourreau, pour voir si leur sang lui a taché les mains, pour voir si leurs pleurs lui ont terni le regard. Et Dieu se tiendra à leur gauche, les bras croisés, le regard accusateur, la barbe terrible. Il voudra parler mais il ne le pourra pas. (Il ne le peut déjà plus, le caractère sacré de la vie lui est resté en travers de la gorge.) Saint-Pierre dira Reagan avant qu'il n'évoque la chute du régime soviétique. Dieu dira Jean XXIII avant qu'il ne parle d'œcuménisme. Le chœur des anges dira Nous avons prié. avant qu'il ne le puisse le dire lui-même.

Alors il s'en retournera, petite ombre funeste, à petits pas de bigot, non vers l'enfer qui serait encore trop chaud et trop intéressant pour lui, mais vers l'oubli.

Commentaires

1. Le lundi 4 avril 2005, 19:44 par Monster Bill

Ca laisse sans voix dans les circonstances qui sont celles d'aujourd'hui et qui n'étaient pas celles de vendredi. Mais c'est au combien vrai, et pas seulement pour cet homme grand par certains côtés et étroits par d'autres.

En tout cas, cette grave légèreté (oui, moi aussi j'aime bien les auximores ;-) ) te réussit tout aussi bien que la franche ironie ou le délire que l'on te connait plus habituellement. :-)