Je savais bien qu'il devait y avoir pire

Où l'on prouve que FabriceD est normal, en fait.

Tous les hommes sont vaniteux : même les fous de rois, même les comptables, même les ventriloques.

Terribles, entre eux, les ventriloques, d'ailleurs - on n'imagine même pas. Allez dans un bar à ventriloques, rien qu'une fois, incognito : enfilez une chaussette à votre main gauche, dessinez-lui des lèvres, cousez-lui des yeux ; faites lui une petite écharpe, aussi, avec un petit bout de tissus. Pour montrer que votre chaussette a une laryngite. Ventriloque aphone, c'est à la portée du premier imbécile venu - vous vous en sortirez sans problème. Et vous serez des leurs. Une fois dans la place, regardez autour de vous, voyez les regards mesquins, hautains, envieux. Le type avec le perroquet en bois sur l'épaule méprise l'homme dont le bras s'enfonce dans le fondement d'un enfant de bois ; le Gepetto obscène hait le pirate de pacotille. Et tous les deux ignorent le pauvre homme au regard un peu triste dans son smoking noir, qui parle dans un coin sombre à une peluche informe au poil terni. Aucun d'entre eux n'a de succès, ils n'ont pas de quoi manger, tout juste de quoi boire, pour oublier. Pour oublier qu'ils n'ont pas de succès. Mais tous sont persuadés d'être le meilleur, tous savent que leur marionnette - Coco, Jimmy, Tatayet, ils l'appellent par son petit nom, toujours - est la plus belle, tous attendent leur heure. Qui ne viendra jamais. L'un d'eux se lèvera soudain, le bras toujours plié pour ne pas déranger Billy, et ira chercher un verre au bar. Sur son chemin, une voix de canard étranglé : Nullard. Terrible rivalité du ventriloque. Terrible vanité de l'homme.

Mon domaine à moi, ce n'est pas la ventriloquie. C'est la bizarrerie.

Il y a une vanité du type bizarre, aussi. Une concurrence. Quitte à être bizarre, autant ne pas l'être qu'un peu. Il faut être le plus bizarre, le monstre ultime, l'anomalie faite homme. Alors on détaille, on énumère, on accumule. Homosexuel, c'est banal ; gérontophile, l'attention s'éveille ; amoureux secret d'Helen Mirren, le public est captivé. Quoi ? Vous n'êtes qu'agoraphobe ? Mais moi, monsieur, je suis aussi claustrophobe, mycophobe et lépidophobe !

C'est un concours sans fin.

Ma botte secrète, à moi, ce sont mes goûts de chiotte. Hors en matière d'homme, j'ai des goûts admirablement peu sûrs. J'aime la Mairie de Villeurbanne, j'aime une toile appelée Le viol de la vierge, j'aime les transcriptions de Stokowski. Avec ça, on gagne des points, forcément. Une œuvre pour orgue de Bach jouée par un orchestre de cent vingt musiciens, ça surprend, nécessairement. Et moi de jouer les innocents, toujours : Bah, oui, c'est inorthodoxe, mais il y a pire, certainement. Je jouais contre mon camp, sans le savoir.

Car, oui, il y a pire.

Il y a la transcription de Respighi de la Passacaille et fugue en ut mineur, découverte il y a trois semaines, toute en furie, en fifre et en fanfare. Il y a ce soir celle de Skrowaczewski de la Toccata et fugue en ré mineur. Avec un xylophone dedans. Et des cloches. Et un gong. Et des roulements de cymbales. Des petits bouts d'apocalypse et des morceaux de plâtres qui tombent du plafond si on l'écoute trop fort. Stokowski ? Un baroqueux, par comparaison.

Qu'est-ce à dire, alors ? Que j'étais normal, jusqu'à présent - relativement normal, du moins. J'en suis aussi surpris que vous. Mais la découverte de ces petites merveilles me sauve, je reviens dans la course : sauf à écouter de la musique Afghane, on ne doit pas pouvoir trouver beaucoup plus bizarre.

Pour conclure, juste un mot. Sur les ventriloques, encore. Ou sur votre chaussette, plus précisément - appelons-la Huguette. À la reflexion, cousez-lui les yeux avant de l'enfiler, ce sera sans doute moins douloureux.

Commentaires

1. Le vendredi 22 juillet 2005, 00:32 par Camille

Hum... Je suis sûr que M. Tauveron te bat. Il a de la musique afghane, lui...

2. Le vendredi 22 juillet 2005, 08:46 par Virginie

Et de la "musique" de porte qui grince, qu'on avait écoutée pendant un repas (est-ce raisonnable pour la digestion, franchement ?)

3. Le vendredi 22 juillet 2005, 12:21 par Rakh

Dans la toccata et fugue en ré m ou la badinerie dans la transcription de Katsaris, pour piano, on entend aussi les murs s'effondrer-ou du verre fracassé, au choix (dans la badinerie). Il y a des violents...

4. Le lundi 25 juillet 2005, 19:04 par Monster Bill

Virginie : On ne critique pas les "Variations pour une porte et un soupir" de Monsieur Pierre Henry, s'il vous plait. Un créateur comme celui-là, ça se respecte.