Importance indéniable du titre

Preuve par un réducteur de tête allemand.

Paul Hindemith a... Quel peut bien être le mot juste ? Le terme technique est sans doute "transcrit" ; "réduit" serait élégant aussi ; "tripatouillé" vient spontanément à l'esprit. Disons que Hindemith a fait quelque chose à l'ouverture du Vaisseau fantôme de Wagner. Quelque chose d'étonnant et d'intéressant. De beau, aussi, si on a l'ouïe solide.

Il a pris l'orchestre wagnérien, ses huits cornistes, ses régiments de violonistes, son bataillon de contrebassistes ; tout l'orchestre, même sa harpiste (car tout orchestre a une harpiste : la première femme à intégrer les rangs des très historiquement misogynes Wiener Philharmoniker fut une harpiste. Il n'y avait pas de candidat mâle pour le poste à pourvoir.) ; il a pris tout l'orchestre, donc, en bloc, l'a mis dans un gros pressoir et a tourné la manivelle. Il en est ressorti deux violonistes (le premier et le deuxième), un altiste et un violoncelliste. Soit un quatuor à cordes.

C'est un phénomène connu. Qu'on peut pousser plus loin : si l'on compresse le quatuor à cordes on obtient un pianiste et si l'on écrase le pianiste il ne reste qu'un petite oiseau perché sur une branche enneigée d'une forêt de sapins. L'oiseau est incompressible : c'est la musique. Pour information, des magiciens très doués maîtrisent l'opération inverse. Messiaen savait passer de l'oiseau, des oiseaux, de tous les oiseaux au piano. Et Respighi, au moins une fois, est passé de l'orchestre au rossignol puis du rossignol à l'orchestre, avec passage par tous les états intermédiaires : c'est dans ses Pins de Rome et c'est superbe.

Mais revenons à Hindemith.

Il a donc transcrit - disons ça comme ça - l'ouverture du Vaisseau fantôme de Wagner. Pour quatuor à corde. C'est ambitieux. Trop, sans doute. Et il le savait. Il a agit en conséquence.

L'art du transcripteur n'est pas, à mon avis, dans la fidélité à son modèle. Laisser toutes les notes, laisser toutes les voix, ne rien perdre ni rien ajouter - tout cela n'est que de la comptabilité. Au contraire, l'art du transcripteur est dans ses infidélités, dans ses libertés, dans ses trahisons. Pour résumer, c'est quand toutes les notes n'ont pas la place de tenir sur la portée que le transcripteur peut laisser jouer son génie : elles ne tiennent pas toutes, lesquelles laisser, lesquelles sacrifier, lesquelles inventer ? Liszt a toujours la même réponse, ou presque : il les laisse toutes, au pianiste ensuite de se laisser pousser les doigts qu'il n'a pas. Stokowski aussi avait sa réponse : il penchait toujours du côté le plus grandiose. Hindemith, lui, s'en tire par l'humour : toujours choisir la plus drôle, la plus inattendue, la plus grotesque.

J'ai entendu cette transcription, hier, à la radio, tandis que je barbottais. Lorsque ce fut fini, le présentateur, très posément, a salué ainsi l'auditeur : Amateurs de couacs et de fausses notes, bienvenus sur France Musique. Nous avions traversé la même épreuve, pour ainsi dire. Cette familiarité inhabituelle qu'il nous témoignait, c'était celle des survivant d'Azincourt. Nous pouvons dire désormais J'y étais.

Hindemith savait ce qu'il avait fait. Et il en était fier. Assez pour avertir l'auditeur de ce qui l'attend, dès le titre : hier, à la radio, j'ai eu l'honneur d'entendre l'Ouverture du "Vaisseau fantôme", telle qu'un mauvais orchestre de casino la déchiffre le matin, à sept heures, autour d'une fontaine, de Paul Hindemith.

Commentaires

1. Le dimanche 25 septembre 2005, 23:47 par cpasshawn

Et comparé au dance remix de Schanpi - das kleine Krokodil, ça donne quoi ?