La vie en rose

(Histoire vaseuse.)

J'ai chez moi un méchant petit vase que j'aime bien. Un cadeau de ma maman : elle me l'a offert dans un carton de sucre en morceaux Beghin-Say, format collectivités, rempli de papier journal. Il est en verre transparent. Enfin... De ce verre transparent un peu vert et pas complètement transparent, vous savez, celui dont on fait les carafes d'eau des cantines d'école primaire. Un verre pas cher qui résiste à tout. En principe. Parce que mon méchant petit vase, il est ébréché, en haut. Maman me l'a offert ébréché : Regarde, il est ébréché, mais ça ne se voit pas. Ça ne se voit pas sauf si on vous le montre. Moi, je sais qu'il est ébréché, mon méchant petit vase en verre bas de gamme. C'est un peu pour ça que je l'aime bien, aussi. Et puis il a une forme rigolote. Rigolote et stupide. Il a un fond épais, bien lourd, bien stable (ça, c'est malin), un col très étroit (on ne peut pas y mettre beaucoup de fleurs), une ouverture très évasée (si on n'y met qu'une fleur, elle se vautre là-dedans comme un ivrogne s'accoude à un comptoir). Vu d'en-haut, la gueule a une forme de marguerite dessinée par un gamin pas doué. Ou de soleil, à la limite. Bref, il n'est pas franchement laid, mais il n'est pas vraiment beau, ce machin. Si les institutrices de maternelle laissaient les enfants jouer avec du verre en fusion, c'est le genre de chose qui ferait fureur pour la fête des Mères. Ça changerait des cendriers en pâte à sel. Le genre de cadeau qu'on aime justement parce qu'il est pauvre : lorsque le cadeau est indigent, on ne peut compter que sur l'intention, et on l'aime d'autant plus.

J'avais chez moi, aussi, une méchante petite vie. Un cadeau de ma maman, encore. Une méchante petite vie à laquelle je m'étais habitué, attaché même. Une méchante petite vie que j'avais surchargée de fioritures pour la cacher au regard. Quand j'étais petit (instant nostalgie) mes parents avaient acheté une BX. Elle aurait dû être bordeaux mais je ne me souviens plus du pourquoi de la chose, elle fut blanche. Ma mère n'aime pas les voitures blanches. Le jour de la livraison, elle a collé sur le coffre un autocollant rapporté de vacances, une horreur, un triangle-rectangle bleu avec écrit en blanc dedans "La Rochelle". Ainsi la voiture n'était plus tout à fait blanche. J'avais fait ça aussi. Le blog, l'alcool, les pitreries, les vociférations dans les bars, les provocations diverses. Tout était bon pour cacher que ma vie était vide comme un vase ébréché. Ébréché, mais ça ne se voit pas.

Aujourd'hui, il est bien joli, mon méchant petit vase : une rose incarnat le transcende.

Commentaires

1. Le vendredi 4 novembre 2005, 16:34 par Obi-Wan

Tu dois être la plus énigmatique des personnes qu'i m'ait été donné de lire...
Et en même temps une des plus touchantes...

Personnellement je trouve que ce n'est pas la valeur des choses qui font ce qu'elles sont mais plutot la valeur qu'on leur donne...
J'ai dans mon appartement à Lyon une petite boite en bois du genre de ces petites boites dont on fait collection comme les dés à coudre ou autre. Pour n'importe qui ce n'est qu'une petite boite. Pour moi, c'est tout ce dont j'ai besoin pour me souvenir de ma grand-mère et ceci n'a aucun prix...

Que la Force qui me guide puisse un jour t'aider aussi...

Obi-Wan,
Emu par Fabriced...

2. Le lundi 7 novembre 2005, 18:39 par Winny

Clairement ému, belle écriture ^_^

3. Le lundi 7 novembre 2005, 22:15 par Val

moi ca m'a pas emu du tout, j'ai senti la fin dès le milieu du premier paragraphe

4. Le lundi 7 novembre 2005, 23:48 par Monster Bill

Val : Tu triches, toi, aussi, c'est trop facile.

FaFa : Enigmatique, je ne sais pas, mais en tous cas, il y a clairement, au risque de me répéter, un certain talent dans ta chaîne de production de textes.

5. Le mardi 8 novembre 2005, 22:35 par Rakh

Je t'aime Fabrice.

6. Le mardi 15 novembre 2005, 10:10 par Polatch (il parait)

Joli. Triste a souhait. Mais joli. Je vois a quoi je ressemblerai dans un an...

7. Le mercredi 16 novembre 2005, 22:14 par Sylvain

D'un autre côté Fabrice, il faut bien avouer que ta mère a toujours eu des goûts... disons particuliers. Car nous nous souvenons tous du pull bleu qu'elle t'avait tricoté et que tu arborais fièrement en seconde...
...
Un beau bleu, remarque...

8. Le jeudi 17 novembre 2005, 15:39 par Camille

Mais non, je ne crois pas que c'était la maman de Fabrice qui avait tricoté ce pull... C'était pas plutôt sa tante ? Cela dit, ça n'explique pas l'horloge en forme de ruine romaine avec petite plante en plastique dans le salon. Mais je l'aime bien, moi, cette horloge.