Riche conne

La rame s'immobilise, toujours au même endroit - ce qui vous émerveille, chaque fois. Sur le quai, la foule se resserre ; derrière les portes, les passagers se pressent. Un instant suspendu, où rien ne se passe. Et les portes s'ouvrent. Vous pestez intérieurement contre le crétin qui ne s'écarte pas, vous résistez à la pression à la cruche qui pousse derrière vous, les passagers descendent. Tous jusqu'au dernier. C'est le signal, le troupeau s'ébroue, on monte dans la bétaillère. Vous retenez une seconde de plus la cruche derrière vous, le temps de laisser une vieille dame tremblottante. Enfin, c'est à vous.

C'est à cet instant qu'elle veut descendre.

Elle est en général une grande bourgeoise, toute sèche et toute filandreuse. Carré Hermès, jupe sous le genou, un camée broché sur son gilet de laine verte. Elle a baisé sept fois dans sa vie, eu huit enfants - Septime et Octave sont jumeaux. Elle vous toise de très haut, son regard vous dégage de son chemin, comment osez-vous même y être ? Elle veut descendre. Maintenant. Vous lui faites perdre son temps. Si vous ne vous écartez pas assez vite, si vous la frôlez, si elle devait vous bousculer, ce serait le scandale. Elle crierait au sauvageon, elle ameuterait la maréchaussée. Alors vous faites place. En la maudissant.

(Plus rarement, elle sera une vieille dame enjouée qui parlait l'instant d'avant avec une autre petite vieille mêmement décrépite. De leurs rhumatismes, ou du col du fémur d'une plus usée encore. Elles discutaient en riant de la vie qui s'enfuit et de la mort qui s'approche - ce sont des préoccupations qui font manquer les stations de métro. Elles se séparent en se posant la main sur l'avant-bras, toujours. Comme pour vérifier que l'autre n'était pas qu'un spectre. Et sortent en se dodinant, et en s'excusant, et en se retournant pour prolonger la rencontre, pour prolonger la vie. On s'écarte alors spontanément, avec respect, prestement. Pour ne pas gâcher de précieuses secondes.)

Commentaires

1. Le lundi 21 novembre 2005, 22:59 par Rakh

N'empêche, tu n'aurais pas du fermer cette fenêtre.

2. Le mardi 22 novembre 2005, 08:18 par Monster Bill

On remarquera que l'inverse est vrai aussi : la riche conne (ou le jeune crétin, dans ce cas, ça marche aussi) veut toujours monter avant que quiconque ne soit descendu. Fût-ce en bousculant une vieille dame (et donc éventuellement alimenter les discussions ci-dessus évoquées).

3. Le mardi 22 novembre 2005, 10:36 par Obi-Wan

Et de ce fait doit on prendre la défense de la vieille dame ou plutot la notre en se disant qu'elle est à la retraite et de ce fait elle a tout le temps de se mouvoir dans la journée plutot que de faire ***** tous ceux qui travaillent pour elle...

Mais en même temps, ne sera-t-on pas comme elle plus tard ?

Quand à la fausse bourgeoise (oui car ce n'est pas du tout hipe de prendre le métro en carré hermes...) on lui rentre dans le lard et on lui rappelle que ce qui fait que nous sommes civilisés et aptes aux bonnes moeurs et au savoir vivre c'est la persone que nous avons en face de nous...

Obi-Wan,
Respectueux envers les vieilles dames...