Petit chosier

Il existe dans des jungles reculées une peuplade qu'on n'imagine qu'à peine. Des chasseurs-cueilleurs très peu chasseurs, qui vivent de baies et qui courent sans filet après les papillons. Ils ramassent des plumes tombées pour illuminer leurs coiffures ; ils se peinturlurent le corps pour rendre grâce à un gros iguane placide qu'ils ont pris pour dieu - il s'appelle Tiki. Les amoureux passent une semaine les pieds dans un ruisseau qui chantonne sous les lianes : ils y choisissent très lentement, très minutieusement, un gallet qu'ils offrent à l'être aimé. S'il est assez lisse, s'il est assez beau, ils s'aimeront à tout jamais.

Une fois tous les seize ans, ce peuple doux s'inquiète et s'ébroue. Ils ramassent les plus belles lianes, en tressent un panier, on y installe Tiki avec une petite écuelle remplie de graines - le dérangement réveille à peine Tiki. Tout le village part en procession, à travers la jungle, le long du ruisseau des amoureux. Ils en dépassent la source, suivent le chemin à demi-effacé que les grand-pères montrent aux petit-fils. Après des heures de marche, ils y arrivent.

La fleur kunga va éclore, ils l'attendent  la fleur kunga se fâne, ils l'attendent ; le fruit kungaya murrit, il l'attendent.

Enfin, le kungaya se décroche de sa branche. Il tombe sur un lit de mousse, épaisse et spongieuse. Splouch ! Tiki ouvre l'œil. Le fruit est ramassé, la forêt résonne des chants rituels que les oiseaux les reprennent en chœur. On place le kungaya devant l'iguane qui s'en lèche les babines : il n'en fait qu'une bouchée ; et se met à loucher ; et bave un peu en souriant. Tiki est content, les villageois aussi. On chante, on danse toute la nuit ; les vieillards racontent leur jeunesse aux bambins ; les amoureux s'enlacent à l'ombre de l'arbre à kunga.

Au matin, Tiki se rendort et on rentre au village chasser les papillons.

La blogosphère est une jungle, elle a son kungaya : shawn a pondu son septième billet en bientôt six mois.