Artisanat

Ce billet fera-t-il la "une" du 13 heures de TF1 ?

C'est une haute bâtisse de pierre blanche un peu ternie, surmontée d'un lourd toît d'ardoise, posée sur une colline où crèvent des arbres difformes. On y monte par un petit chemin sinueux que garde un portail de fer anthracite, gigantesque et fourchu. Le gravier crisse à chaque pas : on se voudrait discret, on avance dans un grondement d'avalanche. On arrive à une fontaine, au pied d'un escalier monumental, où des chérubins de pierre clapottent et batifollent, leurs joues rondes vérolées de lichen, leurs arcs armés de flèches acérées, leurs traits chargés de charmes et de poisons. Le manoir est là, imposant et fascinant, tout de balcons et de colonnades, gigantesque et terrifiant. Un lierre noirâtre gangrène sa façade comme une maladie de peau, un visage. Derrière les hautes fenêtres, des ombres noires dansent devant un arrière-plan de ténèbres.

Là, dans des ateliers grands comme des halles, la crème des artisans travaille, voutée sur des petits bureaux vernis qu'éclairent des lampes cuivrées à abat-jour vert : ce sont de petits messieurs sérieux portant binocles, moustaches et costumes trois pièces ; ce sont de vieilles demoiselles dont le pince-nez grossit les petits yeux myopes. Tout cela sent l'amour du travail bien fait, la fierté de l'excellence, la haute tradition. Le secret ne se transmet pas de père en fils, ni de mère en fille, mais de cousin en cousine à la rigueur, d'inconnu en inconnu parfois, d'ami en ami le plus souvent. Une hiérarchie conservatrice veille au respect des standards les plus stricts : on ne badine pas avec sa tâche, dans cette maison-là. De temps à autres, un contremaître barbu vient promèner son noeud papillon rouge dans tel ou tel atelier : le chef d'atelier vient à sa rencontre de son petit pas rapide de bibliothécaire pressé ; les ouvriers s'appliquent à leur ouvrage ; la perfection se perpétue.

Dans l'ombre de la manufacture, on ignore tout cela. Mais on le pressent. Intimidé, on gravit les marches qui mènent à la grande porte de bois cloutée. Il y a parfois de découpée, dans les divines portes de cathédrale, une porte plus petite, à taille humaine. De même ici. Réconforté par cette touche de banalité dans tant de gigantisme, on entre. Au fond du hall, une centaine de guichets : on s'approche, on sourit, on échange quelques mots. Les préposés sont de beaux garçons au sourire étincellant, de fraîches jeunes filles dans leurs robes printanières. On sourit, on échange quelques mots...

On s'embrasse.

Il y a, à Thonon-les-bains, une fabrique de suçons : un ami y a fait une escapade ce week-end.

Commentaires

1. Le lundi 5 juin 2006, 18:48 par Lofox

A Thonon-les-Bains... tu parles bien du bar à "putes" qu'il y a là-bas, pas loin du lac ? ;)

2. Le mardi 6 juin 2006, 12:10 par Rachmaninov

non non, c'est juste une bague que seuls certains comprendront...

3. Le mardi 6 juin 2006, 19:41 par Gotty

Thonon-les-bains, son lac, sa grand'rue, ses géraniums, son soleil et sa gare de petite ville de province, quel charme !

Mais tout cela n'est rien devant la fabrique de suçons. Nous n'avons d'ailleurs pas du voir la même Fabrice. Celle dont je me souviens est un magnifique bâtiment datant de la fin des années 80 et qui n'a pas pris une ride, plus fine et mignonne que massive et gangrénée. Et les ouvriers : quel talent ! Bien que tous n'aient pas l'expérience de leurs ainés, on sent chez eux l'envie de bien faire leur travail et d'y prendre plaisir.

J'ai pu la visiter pour un court moment, mais il semblerait qu'elle ait fermé depuis. Dommage, j'en garde un très bon souvenir...

4. Le mardi 6 juin 2006, 19:56 par FabriceD

Oui, le moins qu'on puisse dire, c'est que cette visite t'a marqué...