Exégèse

En résumé, je suis un dragon.

Saint Michel s'apprêtant à terrasser le dragon : la mâchoire carrée et volontaire, le pectoral puissant qui bombe la cotte de maille, un quintal de muscles marinés dans la foi. Son glaive et son Seigneur, ses deux armes. Derrière lui, personne ; à ses côtés, personne ; avec lui, personne. Devant lui, la Bête, tapie en son antre putride. La scène sent la chair en décomposition, la testostérone et l'eau bénite. D'un œil déterminé, Saint Michel fixe les ténèbres qui s'ouvrent devant lui, il brandit sa lame et fait un pas en avant : le chasseur va vers son gibier, le héros vers son destin, le saint vers la sainteté.

Foutaises, oui ! Propagande ! Balivernes !

Je le vois d'ici, le Michel, qui se planque derrière un rocher pour ne pas que la bestiole ne le voie. Il a la trouille, Michel, la sainte trouille : celle qui fait claquer les dents, celle glace la moelle jusque dans les os, celle qui mouille le haut de chausse. Le curé lui a monté la tête, lui a fait boire trop de vin de messe, lui a promis un lopin de nuage au Paradis. Et, lui, il l'a cru. Sauf que le curé n'a comme bêtes à affronter que des grenouilles de bénitier, bien au chaud dans son confessionnal. Devant cette grotte qui sent le soufre, qui gargouille et qui grogne, Michel n'entend plus si bien les arguments du saint homme. Il se demande si c'est sa foi qui mollit. Il se demande, aussi, s'il ne va pas vomir à nouveau - la peur fait cela. Mais son estomac a rendu tout ce qu'il avait, déjà, lorsque Michel a traversé la forêt, seul, de nuit, entouré des hurlements des loups, pour venir finalement s'aplatir là, contre ce rocher moussu où grouillent les mille-pattes.

Il ne peut pourtant pas retourner. On rirait de lui, au village. Et puis, peut-être, il irait en Enfer pour n'avoir pas voulu ce que Dieu voulait de lui. Sait-on jamais. Alors il se redresse, Michel, et il fait face à la gueule de la grotte. Des larmes chaudes lui coulent sur les joues, il voudrait revoir sa mère une dernière fois. Trois fois, en chemin, il doit s'arrêter, plié en deux par la douleur, et subir les spasmes de son estomac : le goût de la bile s'ajoute aux miasmes de la grotte. Il entre.

Contre toute attente, il ressort, une heure plus tard. Vivant. Ses jambes tremblantes le portent à peine, il titube sur quelques mètres et retombe sur son rocher, soulagé. Tous les muscles de son corps lui font mal, sa chair bleuit là où il s'est coché dans l'obscurité de la grotte, il ne sait plus trop si c'est sa sueur ou son urine qui lui mouille les cuisses, mais il est heureux. Pas tant d'avoir tué le lézard, finalement, que d'être entré, simplement. Quand finalement ses jambes lui permettent de se relever, il semble plus grand, ou plus sage peut-être. Différent en tout cas.

En entrant dans le village, il dira à la foule surprise de le revoir qu'il a vaincu la Bête. Lui seul sans doute saura cependant que celle-ci n'est pas la véritable victoire.

Tout cela pour dire quoi ? Simplement que je me suis inscrit dans une salle de sport, que j'y suis allé ce soir et que je ne tiens plus qu'à peine debout. Et, peut-être aussi, que there's only one thing to fear, and it's fear itself.

Commentaires

1. Le jeudi 9 novembre 2006, 19:54 par Monster Bill

Décidément, tu écris vraiment très bien.

Bon, ceci étant dit... QUOI !!! Tu as fait du sport ??!!! Toi !!! Merde, finalement, je vais peut-être finir par la soutenir ma thèse, alors...

2. Le mardi 14 novembre 2006, 10:40 par Stitch

Cela doit être une mode, vu que Plantex et moi nous sommes aussi inscrits, voilà un mois, dans une salle de sport.

3. Le vendredi 17 novembre 2006, 21:18 par Tofe

Enfin moi les dragons, je n'y crois plus... Et si finalement il n'y avait pas de dragon autre que la peur ? ... et si finalement tu étais ressorti de cette salle sans avoir fait de sport ?

En tout cas, moi, je résiste: toujours aucun sport depuis la dernière fois qu'on en a parlé !