Doryphores

Quand j'étais enfant, il y avait des doryphores dans le jardin de mon grand-père ; plus tard, il y en eut aussi dans mes versions grecques, même si Mme Massaux insistait pour qu'on les appelle des porte-lances ; il y en a encore plein les musées, sur les ventres des outres ou dans les fonds des assiettes. Pourtant, ni dans les musées, ni dans les textes antiques, ni dans le jardin de mon grand-père, il n'y avait de pommes de terre. Pauvres bestioles : leur réputation doit être exagérée. Les maraîchers nous les présentent comme des monstres gloutons ; les hellénistes, comme des guerriers sanguinaires. Moi, de tout temps, je les ai trouvés très jolis, tous : les doryphores des musées me troublaient, avec leurs jambes élancées, leurs poitrail puissant et ce que Homère appelait leur lance virile ; ceux des guerres antiques apportaient une touche de fantaisie à nos traductions et enrageaient Mme Massaux ; ceux du jardin étaient costumés comme au théâtre, dans leurs carapaces de velours rayé d'or.

De cette époque, sans doute, date mon goût pour chercher la petite bête. Aux doryphores, les patates — je me charge des haricots.