On n'apprend rien, jamais

Lundi dernier, l'aviez-vous remarqué ? la vérité a triomphé de la calomnie. Les chiens n'auront pas eu raison de notre République irréprochable.

Nous croyons que les hommes politiques ne sont plus capables de nous surprendre. C’est compter sans les louanges qu’ils se donnent à eux-mêmes après chaque pas de clerc qu’ils ont fait. Nous autres, gens de lettres, si notre pièce est un four, il nous faut bien en convenir, la critique est à nos chausses pour nous le rappeler, et la recette nous renseigne mieux encore. Les politiciens, il n’en est presque aucun qui sache tourner à sa gloire un désastre militaire qu’il a organisé, et se tresser des couronnes avec les étrivières qu’il a reçues.

Le plus fort est qu’il ne trompe personne, qu’il le sait, et que chacun fait semblant de le croire. Cette indulgence qui est passée dans les mœurs des Français, depuis tant d’années qu’ils vont de catastrophe en catastrophe, nous devrions nous rendre compte enfin, de ce qu’il nous en coûte. Il est temps et il est grand temps.

[…]

Mais les mots sont devenus une nourriture à l’usage des militants et des parlementaires : ils s’en contentent et oublient d’aboyer. La politique a vidé le langage de sa substance. En dépit de commentaires innombrables et quotidiens, l’histoire que nous vivons se déroule inexprimée.

François Mauriac, Bloc-notes de « L’Express » n°274 du 21 septembre 1956.

Relisez la date. Voilà : nous sommes un peuple idiot et amnésique.