Florac

Florac est une bonne surprise pour qui a connu Mende. Sans doute suis-je injuste : ce n'est qu'un unique souvenir d'une unique traversée, mais Mende restera toujours pour moi telle que je l'ai découverte, au détour d'un virage, grise sous un ciel gris, entourée de montagnes oppressantes, grouillante de cyclistes. Ce devait être un critérium, ou un nid, ils étaient partout. La cathédrale, massive et médiévale, les repoussait comme elle pouvait : pas de vitraux, pas de fenêtres, mais des murs pleins et à peine quelques meurtrières. Jusque dans le bar de la place, les cyclistes s'infiltraient. Je pensais avoir verrouillé la porte, mais un m'y a surpris : j'avais mal au ventre, il avait des moustaches. J'ai revu des photos, depuis, y compris de cette cathédrale dont je me souviens comme d'une forteresse : ç'a l'air joli, pourtant ; mais Mende, encore, me traumatise.

Ainsi Florac est donc une bonne surprise. Après des heures de virages, d'alternances entre des montagnes pelées et des sous-bois obscurs, tout à coup, cette petite ville lumineuse et bon enfant. Une petite rivière la traverse ; de réservoir en déversoir, elle cascade et se laisse photographier par les touristes. Le festival d'improvisation bat son plein : trois clowns usés vont de bistrot en bistrot faire leur numéro de plus en plus imbibé. Au centre du village, une place longue comme la course de chars de Ben Hur, mais ombragée, sous les platanes, avec les spectateurs attablés en terrasse et les rigolos à vélo comme seuls concurrents.

La montagne, la rivière, les routes, tout laisse penser que l'hiver doit y être rude. Mais cette ombre sous les platanes, l'accent des énergumènes, une certaine lenteur laisse déjà deviner le midi. Même la République y est bonhomme : sur cette place principale, dont on s'étonne qu'elle manque d'un kiosque à musique, un petit immeuble de deux étages, pas différent de ses voisins. Le crépi n'est plus très frais, la peinture s'écaille sur les volets. À côté de la porte, comme pour un médecin de campagne ou un notaire, une petite plaque de laiton : République Française — Sous-préfecture de la Lozère.

On repart de là réconcilié avec le département : il n'y a donc pas que Mende. En montant en voiture, on plaisante et on se taquine. On s'imagine acheter là une maison de campagne pour y passer ses vieux jours. Jouer aux cartes sous les platanes, prendre l'apéro avec Monsieur le préfet, pécher dans la rivière. Tout le monde est pour, cela n'engage à rien. On met le contact.

La voiture ne démarre pas.

On fait silence, on se regarde. Devra-t-on passer là la semaine ? Un nouveau tour de clef, prudent, comme on met la main sur l'épaule d'un somnambule : on voudrait tant qu'il revienne à lui ; mais le brusquer pourrait lui être fatal. La voiture tousse, hésite, démarre. On passe la première et on reprend la départementale.

Florac était une bonne surprise, se dit-on, quand elle est bien derrière soi.