Tentative de typologie temporaire

Les typologies découpent le monde en tranches que l'esprit est capable d'absorber en une bouchée, mais elles se périment à l'instant où l'on remarque qu'une miette qu'on avait laissée de côté était plus grosse que la plus petite part. La perspective peut créer ce genre d'illusions. Ainsi, on pourrait dire des préfectures qu'il y a les petites et les grandes. Pourtant, à mesure qu'on s'approche de Vesoul, Vesoul grossit et on ne sait plus qu'en faire. Est-ce une des petites ? Mais elle a sa chanson ! Une des grandes ? Mais ce n'est que Vesoul !

C'est dire que les typologies ne peuvent être que provisoires et modestes. Elles ne durent que le temps qu'on les invalide, elles n'englobent que ce que l'on a pensé à ne pas oublier.

Malgré tout, disons-le, il n'y a que trois sortes de préfectures.

Primo, les évidentes, ces grandes villes dont on n'imaginerait pas qu'elles n'en soient pas : Lyon, Marseille, Lille, Nantes, Bordeaux, Strasbourg, Clermont-Ferrand. On y a prêché la première croisade, un premier ministre en était maire, les livres d'histoire en promeuvent le nom. Chacune a son monument, sa place et sa gastronomie : leurs enfants sont chez eux partout, dans les coins les plus reculés de l'hexagone, on a entendu parler de leur maison. Le bistrotier d'Oloron-Sainte-Marie a mangé une bouillabaisse sur le Vieux-Port ; la guichetière de la poste de Pornic a pleuré dans la crypte de Notre-Dame de Fourvière ; les serveurs parisiens ont usé leurs fonds de culotte place de Jaude, à l'ombre de Vercingétorix. (Et pourtant, ils sont aveyronnais : cela prouve l'universalité de Clermont-Ferrand.)

Secundo, les nécessaires, qu'on a mis là parce qu'il en fallait bien une. Les citadins des plus grandes préfectures ont tendance à s'en moquer, à tort. Vesoul, Aurillac, Mende... Un jour, elles ont dû être quelque chose : aller à Épinal devait être un événement. On mettait ses beaux habits, on se faisait beau, on se lavait derrière les oreilles. Aujourd'hui, même alentour on ne les regarde plus trop, le regard porte plus loin, on vise des plus grandes : Dijon, Poitiers, Saint-Étienne... Il n'y a plus que des touristes hollandais qui viennent, et ils ne comprennent pas que les restaurants soient tous fermés le soir.

Tertio, les méchantes, qu'on n'a faites préfectures que pour embêter les voisines. On ne trouve pas d'autre raison, à Montluçon, pour expliquer Moulins ; à Mulhouse pour compenser Colmar ; à Brive pour justifier Tulle. Pourquoi la grande devrait-elle dépendre de la petite ? Pourquoi ces villageois iraient-ils aux bals de Monsieur le Préfet, quand on n'a pour soi qu'un sous-préfet même pas énarque ? Il y a de ces injustices, dans le monde, de ces vexations. On ne comprend pas, on cherche, on creuse. Cela fait une croûte à l'orgueil, comme au genou d'un enfant, qui ne peut s'empêcher de la décoller et qui l'empêche de cicatriser. On en parle aux réunions du Rotary.

À toute bonne typologie, son exception : Paris n'est pas une préfecture, car c'est une capitale. Il y a pourtant un préfet, mais de police. Il faut bien cela, sans doute, pour y faire la circulation.

Commentaires

1. Le jeudi 24 février 2011, 13:21 par Valiou

Tiens tu n'as même pas évoqué Nevers..