La malédiction de l'évier

Phil s'est fait virer et il lave la vaisselle. À quoi sa femme peut-elle bien penser ? Elle dort sur le canapé, irresponsable. À croire qu'elle ne va pas au cinéma : elle saurait.

Le spectateur, lui, comprend dès le premier plan. Il ferme les yeux et prédit la scène, rapidement, entre deux coups d'éponges, comme il l'a vue sur tant d'écrans. Il les rouvre, pour vérifier, et n'est pas surpris.

Phil termine sa dernière assiette, la met à égoutter et repose l'éponge. Il se sèche les mains. Il ouvre le placard sous l'évier, en sort un sac poubelle. C'est un symbole, le sac poubelle : des déchets mis au rebut, des objets inutiles, des choses en fin de vie. Le regard s'attarde longuement, tendrement, sur sa femme. Elle ne se réveille pas — ç'aurait pu tout changer. Il sort vers le garage qui est éclairé, à l'américaine. Il jette le sac dans un bac et se retourne pour affronter la nuit, une dernière fois. En entrant, il actionne un interrupteur et, tandis qu'il longe sa voiture, la porte se referme derrière lui. À travers la vitre, on le voit monter en voiture. La porte du garage s'immobilise avec le bruit de la première pelletée de terre. Phil met le contact. Noir.

Tout personnage qui fait la vaisselle dans un film américain finit par se suicider en laissant tourner sa voiture dans son garage.