Cinq fruits et légumes frais

Un casus belli récurrent de mon enfance étaient les légumes verts. Un instant. Relisez lentement cette phrase : un casus belli récurrent de mon enfance étaient les légumes verts... Voyez le déplacement du sujet et le verbe qui s'accorde tout de même avec ce dernier. Cette phrase est parfaitement saine, et pourtant elle semble fausse. Exactement comme les légumes verts.

Le concept de Légume Vert en était un que mon cartésianisme juvénile rejetait spontanément. Le Père-Noël, Dieu ou la petite souris, passent encore, mais le Légume Vert, non. Un seul contre-exemple défait une théorie. Pourquoi, alors, ma mère niait-elle encore et encore l'évidence ? Mange tes légumes verts, me disait-elle, mais je doutais devant mon chou-fleur (beige), mes aubergines (noires), mes carottes (rouges), mes betteraves rouges (violettes), mes poivrons (bigarrés) ou mon maïs (jaune, malgré le Géant Vert).

Celui qui a forgé cette expression était ou daltonien ou pervers. Je lui dois une enfance faite de doute et de relativisme, ballottée de fausse vérité en certitudes anéanties. Légumes verts : l'aubergine, le poivron sont des fruits ; le chou-fleur est une fleur ; le maïs une graine. Comment croire ensuite qu'ils puissent être bons pour la santé ? Le salsifis me donne la colique.

Fourbe comme un légume vert pas vert, oui ! Tenez, dimanche dernier au marché : il avait l'air tout charmant, tout mignon, ce petit chou (blanc). Je me le ferai bien, cette semaine, me dis-je ; il m'aura fait la semaine, vous dis-je. Les petits choux blancs ne sont petits que jusqu'à ce qu'on les découpe : ils tenaient dans la main, ils débordent du faitout. Tous les midis, j'en ai mangé, et un soir aussi : je n'en suis venu à bout qu'aujourd'hui.

De rage, je le suis, moi, vert.