Patience et longueur de temps

Un de mes principaux défaut est l’impatience. Elle s’aggrave dans des circonstances qui sont propices à la nourrir ; elle disparait aussi (cela arrive) pour faire place à des phases de flegme qui m’étonnent moi-même. J’ai en tête quelques amis un samedi soir passé qui échangeaient, un peu après une heure du matin et alors qu’ils étaient en train de partir, à propos de la reconnaissance vocale de leurs téléphones respectifs. Cela a dû durer à peine cinq minutes, mais agacé et fatigué, j’ai proposé un peu sèchement à l’un d’eux qu’on discute le lendemain. Je me suis vu répondre aussi sèchement que le lendemain on ne se verrait pas. Je me souviens également d’une attente épique pour entrer au Grand Palais voir l’exposition Matisse-Picasso en 2002. Trois heures trente, stoïque, et sous la pluie encore. Jeune et bête... Je ne sais comment chacun ressent les réactions et attitudes de ses amis, que l'on parle d'impatience ou de quoi que ce soit d'autre, et qui jouent dans l’idée qu’on peut se faire d’eux en leur faveur ou en leur défaveur. Sans que cela puisse empêcher de râler par devers soi, me concernant je les prends en bloc et me rappelle ce que Montaigne disait de La Boétie. Tous nous avons nos caractères appréciables, détestables à des degrés divers, et savons bien ce qu’ils sont.

Cependant, j’aime les œuvres longues. Quand le format traditionnel d’une chanson est de quelques minutes, celui d’une symphonie peut osciller entre une demi-heure et une heure (je passe les opéras de Wagner). J’aime ce temps qu’il faut pour l’entendre : il implique de s'arrêter et d’accorder à la musique le temps qu’elle demande, de ne pas passer à autre chose, de s'ancrer. Cela aère et « occupe » dans le découpage d’une journée. Dans nos activités professionnelles, on court à droite et à gauche, on essaie de régler des problèmes parfois dans l’urgence, on veut des réponses immédiates. Je n’ai pas forcément envie, dans le cadre d'un loisir, de suivre ce rythme. Je serais malheureux de n’écouter de la musique que par lot de dix chansons de courte durée (même s’il est vrai que j’en écoute peu en proportion, et qu'une chanson d'Orelsan fait bien de ne durer que trois ou quatre minutes). Heureusement les symphonies de Mahler et les sonates de Beethoven font un bon contraste. Ne pouvoir lire que des romans d'Amélie Nothomb composés en corps 32 rendrait bien triste. Il fallait que Les Frères Karamazov pèsent leur bon millier de pages : on s’y installe, on en goute la saveur et on le peut seulement parce que Dostoïevski a pris cet espace pour plonger dans une intrigue aussi touffue. C’est que la longueur et la durée permettent à la fois l’architecture, le développement, la grandeur.

La concision convient à d’autres choses.