Il y a un problème avec Robert...

Il y a un problème avec Robert Schumann, plus précisément avec ses symphonies : on dit que Schumann orchestre mal. C'est extrêmement pratique pour les critiques de musique : après un concert réussi, on dit que Schumann orchestre mal, X. tord le cou à cette idée reçue ; après un enregistrement raté, on dit que Schumann orchestre mal, ce n'est pas Y. qui prouvera le contraire. À l'inverse, on dit aussi que Nicolaï Rimski-Korsakov orchestre bien. Il est vrai que Rimski orchestre avec le même art que met Jacky à décorer sa Renault Fuego, tout en brillance, en bravoure et en éclat, quand Schumann tiendrait plus du peintre de marines amateur, qui rajoute couche après couche, qui tartine au couteau, qui sculpte la gouache pour rendre les vagues.

Le problème de Schumann, en un mot, est une certaine épaisseur. Trop de cors, trop de trombones, trop de trompettes, trop de vents, trop de tutti, trop de tout, tout le temps.

Il n'est de problème qui n'appelle une solution, et bien des chefs s'y sont frotté. Certains, comme Paul Paray, ont accéléré les tempi, ont brusqué les mouvements, comme on fouetterait une ganache trop épaisse pour l'aérer. D'autres se sont mis en tête de corriger les fautes, ont bidouillé l'orchestration. Gustav Mahler, ainsi, a laissé des symphonies de Schumann qui sonnent comme du Mahler, qui sonnent donc très bien, mais qui ne sont plus de Schumann. Je l'ignorais jusqu'à cette semaine, mais George Szell, aussi, y est allé de sa version : moins de trombones, des cors plus rares, des bois plus présents, des cordes très lyriques — un Schumann qui sonne comme Schubert.

(La tentation est fréquente, de ripoliner l'orchestration de ses prédécesseurs : Rimski-Korsakov, finissant les œuvres de Moussorgski, doublait les contrebasses par les violoncelles, selon l'usage. Ces contrebasses à nu, Rimski les trouvait fautives, quand l'oreille actuelle les trouve modernes. Qui juge de la limite entre la faute et l'originalité ?)

Je ne connais pas les enregistrements de Schumann par Szell (dont je ne raffole guère), mais j'ai découvert son édition dirigée merveilleusement par Guennadi Rojdestvenski. L'Orchestre d'état d'Estonie est irréprochable ; tout est du meilleur goût, tour à tour dansant, tragique ou lyrique ; c'est un Schumann léger et digeste. D'où vient, pourtant, qu'on reste sur sa faim ? J'ai compris tout à coup dans le final de la Quatrième symphonie, où Rojdestvenski n'avance pas : la pâte orchestrale ne prend pas, il doit ralentir pour lui redonner du corps, comme un mauvais gâte-sauce qui rajoute de la farine pour lier une sauce trop clairette.

Alors quoi ? S'il y a un problème avec les symphonies de Schumann, c'est peut-être qu'on n'admette pas que leur son très bizarre est celui qui leur va le mieux.