Music for a while

On aime le Royaume-Uni pour ses habitants, sa verdure, ses écrivains comiques ou satyriques ; pour les musées londoniens, pour la musique. La musique classique britannique est assez peu connue en France. Il faut dire qu’on y fait la part belle aux compositeurs nationaux, les Berlioz, Ravel et Debussy dont presque toutes les œuvres sont jouées encore aujourd’hui. Les Russes sont eux aussi beaucoup joués en France, depuis le début du XXe siècle, après que Debussy revint de sa jeunesse en Russie, que Ravel a puisé chez Rimski-Korsakov son talent d’orchestrateur incomparable, que Stravinsky est venu vivre à Paris dans les années 1920—1930, et que Diaghilev y a monté ses plus grands ballets : L’Oiseau de feu, Le Sacre du printemps, (musiques de Stravinsky), Daphnis et Chloé (musique de Ravel), Le Tricorne (musique de Falla)… Enfin, la musique de nos voisins d’Allemagne, d’Autriche, de République tchèque ou de Hongrie a elle aussi les faveurs des salles de concert en France. Regardez les programmes : les symphonies de Beethoven, Brahms, Mahler, les opéras de Janacek ou le piano de Liszt, ils sont partout.

La musique britannique, comme les musiques de la Scandinavie ou de l’Asie, est quasi-absente des scènes de France. On entend parfois quelques opéras de Purcell (1659—1695) ou de Britten (1913—1976), quelques pages orchestrales comme les Marches de pompe et circonstance d’Elgar (1857—1934) ou les Planètes de Holst (1874—1934), mais c’est à peu près tout. On peut pourtant y trouver des merveilles, il suffit de s’y plonger.

Depuis le Moyen-Age où l’on écrit de la musique, la musique britannique a grosso modo connu deux périodes fastes : le pré-baroque et le baroque (d’environ 1500 à 1700), et une période moderne (de la fin du XIXe siècle à nos jours). Entre 1700 et 1875, soit près de deux siècles, on ne trouve pas un seul compositeur britannique d’envergure, tout juste quelques petits maîtres (et j’ai du mal à en recenser, encore) : Arne (1710—1778), dont on ne connaît plus que le Rule, Britannia! ; Stanford (1852—1924), qui a notamment écrit quelques symphonies de bonne facture ; Parry (1848—1918), que le Prince Charles cite comme un de ses favoris ou en tout cas comme un compositeur négligé. Parry est en effet tombé dans un oubli total, y compris outre-Manche ; il me semble que c’est justice.

Le Royaume-Uni a connu d’immenses compositeurs au XXe siècle. Deux géants se détachent : Vaughan Williams (1872—1958) et Britten. L’un a composé beaucoup de musique orchestrale (de grandes pièces, dont dix symphonies), l’autre une vingtaine d’opéra tous encore joués régulièrement dans les maisons d’opéra du monde entier.

De l’autre côté du panorama, des compositeurs plus anciens. Les Britanniques étaient reconnus alors pour trois genres au moins : la musique vocale, la musique de clavier des virginalistes, et le consort de violes.

Tous les grands compositeurs britanniques de la période 1500—1700 ou presque, qu’ils aient été catholiques ou anglicans, ont écrit pour la voix : œuvres religieuses, grandes messes, songs. Les Tallis (1505—1585), Byrd (1543—1623), Gibbons (1583—1625) ou Sheppard (1515—1560) n’ont rien à envier à leurs contemporains du continent. Le virginal (on parle de clavecin sur le continent) a eu les faveurs de très nombreux compositeurs autour de 1570—1620, dont ceux cités, à tel point qu’à cette période la qualité et la quantité des œuvres produites fait du Royaume-Uni l’un des pôles de l’essor de la musique de clavier européenne avec l’Italie. Il faut attendre près d’un siècle de plus pour constater le même développement en France et en Allemagne. Enfin, nos voisins étaient les maîtres incontestés du consort (ensemble) de violes. Ils en ont écrit des centaines avant que la viole passe de mode et s’efface devant le violoncelle autour de 1700 ; et c’est une chose magnifique, le consort de violes. Ces morceaux pour trois, quatre, cinq ou six violes le plus souvent, dont la polyphonie alliée à la douceur, au velouté propre à l’instrument leur confère une grande richesse et une plénitude sonore, sont rarement joués. Pourtant, les compositeurs qui en ont écrit sont très nombreux et restent encore connus aujourd'hui (et sont malgré tout beaucoup plus joués que Parry...). Rendez-nous les perles pour la viole de Byrd, Purcell, Jenkins (1592—1678), Holborne (1545—1602) et autres Dowland (1563—1626) ! On voit paraître un disque de temps en temps, mais l’anthologie réalisée par Jordi Savall dans les années 1980-1990 attend toujours d'être étoffée par ses successeurs.