Berenice Abbott au Jeu de Paume

Samedi après-midi, direction la Galerie nationale du jeu de paume à Paris, près de la place de la Concorde. Ce lieu d'exposition est moins connu que les grands musées de la capitale, ou autres lieux d'exposition tels que l’Hôtel de Ville ou le Grand Palais souvent pris d'assaut lors d'expositions monstres qui attirent les foules (Claude Monet au Grand Palais il y a peu, Robert Doisneau en ce moment à l'Hôtel de Ville, par exemple). Le Jeu de Paume est plus discret, plus confidentiel aussi. J'y ai vu des toiles illuminées de Zao Wou Ki, sidérantes, mais il faut dire que le format du bâtiment se prête particulièrement bien à des expositions de photographies. Ces dernières années, Robert Frank, Lee Miller, Richard Aveydon, ou plus proches de nous André Kertesz (dont les vues parisiennes valent les clichés les plus parfaits d'Henri Lartigue ou de Henri Cartier-Bresson) et Diane Arbus ont eu les faveurs d'une exposition. Que j'ai ratée, d'ailleurs.

Pendant deux mois, c'est l'américaine Berenice Abbott (1898—1991) qu'on voit sur les murs crème de la Galerie. Influencée par le travail documentaire autant que sentimental d'Eugène Atget sur le vieux Paris, Abbott photographie New York sous toutes ses coutures. Avant ce travail d'une vie : des portraits, d'une grande sobriété, qui m'ont rappelé ceux d'Irving Penn vus ils y a quelques années à la National Portrait Gallery de Londres. Les épreuves gélatino-argentiques des années 1920 et 1930, dont on voudrait toucher l'épaisseur reluisante, sont superbes. On avait vu des tirages similaires durant l'exposition Kertesz ; on voudrait toujours voir de telles photos si présentes, si chaleureuses. Après la seconde guerre mondiale, Abbott change d'angle de vue et se la joue Walker Evans, en photographiant minutieusement les États-Unis profonds : petites gens, petites villes, champs. Elle effectue également un travail de photographies scientifiques, dans le cadre de la réalisation de manuels scolaires ou pour des ouvrages de vulgarisation. Ceci me semble moins essentiel, bien que le parti pris esthétique de ces photographies, pleinement assumé, est éclatant.

On est heureux d'avoir patienté si peu de temps pour entrer. Une fois à l'intérieur, on a compris : on se bouscule devant les petits cadres. Dehors, dans la file d'attente, on se souvient d'une attente précédente au même endroit, durant laquelle une Italienne posait de façon outrée pendant que son copain la mitraillait avec en toile de fond la Concorde et la tour Eiffel. Cette fois-ci, on n'a pas perdu une miette de trois jeunes filles à grosses lunettes œil de mouche, trop dénudées vu le froid ; elles se gelaient pour un shooting de photos de mode. L'attente fut ponctuée par le passage de joggeurs, dont un jeune blond qui faisait le tour des Tuileries à une vitesse où moi je courrais pour attraper un bus. Il est passé trois fois avant qu'on entre. Il courait toujours quand on est sorti.