Les cent ans d'un grand texte

Seigneur, c'est aujourd'hui le jour de votre Nom,
J'ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion,

Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles
Qui pleurent dans le livre, doucement monotones.

Un moine d'un vieux temps me parle de votre mort.
Il traçait votre histoire avec des lettres d'or

Dans un missel, posé sur ces genoux.
Il travaillait pieusement en s'inspirant de Vous.

A l'abri de l'autel, assis dans sa robe blanche,
Il travaillait lentement du lundi au dimanche.

Les heures s'arrêtaient au seuil de son retrait,
Lui, s'oubliait, penché sur votre portrait. [...]

New York, avril 1912.

Ainsi commencent Les Pâques à New York de Blaise Cendrars (version de la collection Poésie / Gallimard, je respecte la ponctuation et la casse) ; c'est l'errance ahurissante d'un jeune homme de 24 ans dans New York, qui règle ses comptes avec la religion sous les volées des cloches de Pâques. La force de la dizaine de pages de ce poème tient à peu de choses : litanie des distiques, répétitions, violence des sentiments exposés à nu par force figures (hyperboles, oxymores), sarcasmes et questions lancées dans le vide béant, restant sans réponse. A ranger aux côtés de chefs-d’œuvre poétiques comparables du début du siècle passé comme Vents (Saint-John Perse), Four Quartets (Eliot), Ode marítima (Pessoa) ou Le Cimetière marin (Valéry).