Canaletto n'est pas un grand peintre, mais bon

Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto (1697—1768) est un peintre italien, né et mort à Venise. Après deux séjours de plusieurs années à Londres, qu'il a copieusement peinte, il revint à sa ville de naissance, qu'il a plus encore représentée sous toutes ses coutures. On lui doit près de 900 toiles, l'équivalent de la production de Van Gogh.

Si vous voyez un Canaletto, vous les avez tous vus : perspectives parfaites, sens inné de l'ordonnancement des bâtiments dans un paysage urbain, petites vaguelettes d'écume quand il y a de l'eau, nombreux personnages assez stéréotypés. Et pourtant... quelle harmonie se dégage de ses vues de ville ! quelle simplicité, quelle évidence de la construction ! On dirait une sonate de Mozart : on s'ennuie ferme le plus souvent, mais quelle perfection formelle, quel déroulement impeccablement précis de l'histoire qui nous est contée ! Ses plans sont toujours remarquablement étagés. Son sens de la ligne me fait penser à celui du photographe Michael Kenna, l'épure en moins.

La lumière, Canaletto la maîtrise d'une façon simple. Ses ombres sont franches, bien découpées. Prenez cette vue de la Salute. Canaletto n'y déploie pas le mordoré des soleils couchants de Claude Lorrain (1600—1682), mais sa palette d'ombres et de demi-teintes marron est des plus variées. Canaletto n'y expose pas les dégradés pastels si subtils des aquarelles de Turner (1775—1851), comme dans cette vue de la même église vénitienne ; pourtant ses bleus, gris et verts, dans les reflets dans l'eau, dans les cumulo-nimbus qui menacent sur la droite de la toile, sont bien plus transparents que ceux de Turner. Nombre des ciels de Canaletto pourraient être qualifiés de pré-impressionnistes.

Le grand tort de Canaletto, comme de Lorrain d'ailleurs, est le statisme de ses compositions. Ses couleurs un peu tristes, naviguant souvent dans les ocres ou les beiges, manquent de fantaisie. S'ajoute à cela beaucoup de naïveté dans les personnages. Mais ils sont tellement charmants... Ils bougent comme dans les bandes-dessinées de Gibrat, très maladroitement. Canaletto ne devait pouvoir s'empêcher de ponctuer ses belles pierres d'un peu de vie, recherchant la vivacité, pour un résultat final qui apparaît souvent comme factice.

Un peu images d’Épinal, les toiles de Canaletto. Il me parait pourtant qu'au-delà de l'intérêt lié à la technicité, aux couleurs, au pur plaisir du dessin, le peintre témoigne fabuleusement de son temps. De l'état du bâti, bien sûr. De la vie quotidienne et du commerce, malgré les dehors de pacotille. Malgré tout.