Madeleine de Proust et plats d'abats de veau

Enfant, il m'est arrivé plus d'une fois de faire la cuisine avec ma mère. Témoins ces cakes dont, autant que je me souvienne, aucun ne fut jamais bon, car trop secs, trop durs. Comme les pains d'épices du grand-père ou les trop flasques cornichons de l'autre grand-père. Je repense, à peu près à chaque fois que je mange un plat s'approchant et que mon esprit divague parfois loin des sphères culinaires, à ces plats qui reviennent tout droit de l'enfance.

Le tripoux (de Saint-Flour, cela va sans dire). Déjà, lors d'un passage à Saint-Flour il y a plus de quinze ans, l'arrêt repas avait consisté en un tripoux. Il y a quelques semaines, je ne pouvais vraiment pas y couper. Il est d'ailleurs fort probable que je l'aie mangé les deux fois exactement au même endroit, sans que j'arrive à m'en souvenir avec certitude. Cela précisément est délicieux.

Le foie de veau au persil. Fabrice déglace au vinaigre avant de servir et l'aime avec de la purée, mais ma mère l'a toujours fait revenir au beurre avec du persil. Étonnamment, je ne l'ai jamais préparé ainsi alors que c'est très fondant, et que j'ai une image parfaitement nette des petites fleurs de persil grillées qui croquent sous la dent précisément quand je mange un foie avec un jus déglacé au vinaigre. A croire que l'image mentale du persil croustillant suffit.

Les rognons et champignons à la crème, flambés. Quand on est gamin, si on peut flamber quelque chose, ça ne peut être que meilleur. D'ailleurs, ce plat se retrouvait flambé à tout et n'importe quoi : rhum, whisky, alcool de fruit, ce qu'il y avait dans le placard, sans forcément de souci de goût. A Bellecour nous flambions souvent, que je sache ; et cela me rappelait immanquablement ces rognons retour du marché du samedi midi. Je ne sais pourquoi, nous ne flambons plus alors que la flamme est bien vive.

Ce soir, foies de lapin : ils me ramènent déjà en pensée à la salade et aux foies de volaille, plat fréquent du dimanche soir, qui accompagnaient bien souvent un énième visionnage de Robin des bois (avec Eroll Flynn, naturellement). Et, partant, à peu près chaque fois que j'en mange, Claude Rains ponctue, dans ma tête, de sa voix aristocratique et chevrotante, les phrases de la conversation du repas de ses Oh, vous n'oseriez pas ! et autres mielleux N'est-ce pas, Lady Marianne ?. Parfois, Basil Rathbone arrive sans crier gare et s'emporte : Je lui ferai rendre gorge ! (un foie coupé net en deux dans l'assiette) ou s'inquiète, croyant avoir aperçu l'ombre de Robin derrière un pilier : Vous croyez qu'il ait entendu ? (en fait, un petit rognon caché derrière un gros foie). Comment qui que ce soit pourrait avoir entendu, puisque tout ce délire reste intérieur ?