Dilemme, avec deux m

En France, on accorde généralement une grande importance à l’orthographe, comme si c’était l’alpha et l’oméga d’un bien-écrire. Certains peuvent s’en arracher les cheveux, d’autres n’y accorder aucune importance, d’autres encore se targuer de maîtriser le pluriel des noms composés ou l’accord du participe passé des verbes pronominaux. Il est vrai que le français n’est pas réputé facile du point de vue orthographique ; et s’il n’y avait que cela… Dans l’inconscient collectif l’orthographe est devenu comme une valeur refuge pour laquelle il est de bon ton, clament ses plus ardents thuriféraires, d’en connaître les plus secrets arcanes.

Le plus drôle est qu’à une époque pas si lointaine, une grande liberté ne choquait personne : dans un même texte, un mot pouvait par exemple être orthographié de plusieurs façons différentes. Il y avait bien quelques règles, mais elles pouvaient varier d’une région, d’un écrivain voire d’un texte d’un même écrivain à l’autre. Cela a quand même perduré près de mille ans, des Serments de Strasbourg (premier texte en vieux français, datant de 842) jusqu’aux débuts du XIXe siècle. Voltaire a paraît-il (je n’arrive pas à vérifier si c’est vrai ou non) eu le premier l’idée d’écrire -ais et -ait les terminaisons des verbes conjugués aux personnes du singulier à l’imparfait, c’est-à-dire de suivre la prononciation. Nombre de ses collègues écrivains ont continué longtemps d’utiliser l’ancienne graphie -ois et -oit ; temps béni, vous pouviez faire ce que vous voulez ou presque sans qu’on vienne vous le reprocher.

À la période romantique, les écrivains sont plutôt orthodoxes par rapport à leur prédécesseurs. Au premier chef Victor Hugo, qui pour ce que j’en ai lu est d’une régularité exemplaire, lui qui orthographie toujours ses innombrables mots rares de la même manière. L'apogée est atteint avec la IIIe République et l’école gratuite et obligatoire pour tous : l’orthographe est érigée en valeur républicaine. A priori, chacun peut donc en apprendre les bases dans sa jeunesse. Pendant des générations, l’apprentissage de l’orthographe va se répandre et être décliné sur tous les tons par tous les instituteurs de France. Cette entreprise titanesque aboutit à l’aura qui plane aujourd’hui autour de la matière.

Pourtant, sauf à vouloir briller dans les salons mondains ou pour faire le malin et écrire un billet casse-gueule comme celui-ci (et encore), il est à peu près inutile d’être bon en orthographe. On ne va reprocher à personne de ne pas savoir quand ajouter ou non un t à béni, ou qu’arcane est masculin. Ce qu’il faut refuser, en revanche, c’est de lire des textes bourrés de fautes, à l’heure où l’on ne sait que faire de correcteurs présents dans tous les logiciels de traitement de texte. Aucune excuse n’est valable : lisez ; relisez ; faites relire ; cherchez dans un dictionnaire, il en existe des milliers depuis celui de Vaugelas ; cherchez n’importe où ailleurs. Ce n’est qu’une question d’effort, et c'est tellement plus beau après.

Commentaires

1. Le mardi 5 juin 2012, 19:29 par Bill

On ne te fera pas le reproche de confondre allègrement orthographe et grammaire, tant on adhère au propos. D'autant moins qu'on en aura compris le sens.

Mais tout de même, au même titre que l'orthographe (et la grammaire, donc), le vocabulaire est important. Le dictionnaire lui est d'ailleurs aussi d'un grand secours de dernière minute quand la lecture assidue d'ouvrages divers fait défaut (ce que je sais ne pas être ton cas).