Il ne tient pas à moi que vous échouiez à saisir ce titre

Je lis ces temps-ci avec un grand plaisir les Mémoires du Cardinal de Retz, qui se prononçait Rais, qu'il écrivait d'ailleurs ainsi, sauf lorsqu'il s'agissait de son oncle, qui était Archevêque de Paris, quand lui n'était que coadjuteur, etc. C'est le problème des classiques : les notes s'y déposent avec les siècles et chaque page tournée en soulève un nouveau nuage. Une allusion qu'on précise, une faute de grammaire qu'on justifie, un personnage dont on résume la vie, tout ceci brille un instant dans la lumière, mais l'accumulation finit par masquer le texte et piquer les yeux.

Il peut pourtant y avoir un autre piquant à ces notes : c'est de noter leur absence occasionnelle. L'annotateur, en général, est compréhensif : il s'attend bien à ce que vous connaissiez moins que lui son sujet. Ignorez-vous que le Pont-de-l'Arche commande la route de Paris à Rouen ? Il vous le précisera bien volontiers. De même, Retz a l'habitude de reprendre par un pronom dans une phrase un antécédent d'une précédente, avec une habilité que notre siècle a perdue : systématiquement, l'annotateur y suppléera. Mais sa mansuétude a des limites qu'il ne devine peut-être pas lui-même. S'imagine-t-il réellement, comme pourraient le laisser croire les cent-soixante pages d'introduction qui font l'économie d'une définition, qu'il juge probablement trop évidente ou à laquelle il ne pensa même pas, s'imagine-t-il réellement, dis-je, que les lecteurs savent ce qu'est un coadjuteur ? Ce que, pourtant, Retz était.

Il y a enfin des instants où l'annotateur semble s'amuser innocemment : quand il prend prétexte d'un oubli de l'auteur pour une pleine page rageuse où il se moque des commentaires des annotateurs précédents ; quand, à une allusion très voilée de Retz à propos des mœurs de Mazarin, il ajoute une note soulignant l'allusion sans en lever le voile ; quand, enfin, il reprend dans une de ses notes telle ou telle tournure qu'affectionne l'auteur. Ainsi de celle-ci, dont Mauriac abusait aussi, que je peine toujours à comprendre mais qui me tient lieu ici de titre.