Je, etc.

Certains livres procurent d’autant plus de plaisir qu’ils sont loin de nous. Du haut de son mètre cinquante, Mme V. nous l’avait dit, jadis, au lycée Blaise Pascal : L’infini, ça peut être très proche, quand on est tout petit. (Elle parlait des cristaux infinis.) Il y a donc loin et loin : le Japon de Murakami, lointain car japonnais ; le Concarneau de Simenon, éloigné au bout d’un demi-siècle.

Un antipode, parmi d’autres : la Correspondance de Voltaire. Certaines distances se comptent en mètres, d’autres en siècles ou en dollars ; celle-ci, en lettres : entre 1711 et 1778, Voltaire en aurait écrit plus de dix mille, dont je ne sais combien où il se dit mourant, ah ! ma chère, je ne regretterai dans ma tombe que ne plus vous voir, et d’enterrer l’un après l’autre tous ses correspondants.

Comment imaginer aujourd’hui une telle fécondité épistolaire ? Quels étaient les usages ? Écrivait-on à un duc comme à un roi, à un tailleur comme à un élagueur, à vingt ans comme à soixante-dix ? Lettre après lettre, on se construit des théories plus ou moins branlantes qu’une nouvelle lettre finit toujours par écrouler. Ne trouvant pas les réponses, on renonce aux questions et on se contente du style.

Il reste pourtant un doute qui me tarabuste. La plupart des lettres que j’ai lues se terminaient en ellipse. Lubie de l’éditeur ou réalité d’époque ? A-t-on vraiment pu, un jour, clore ainsi une lettre à un prince : Je vous prie d’agréer, cher ami, etc.