Y a-t-il de bons auteurs de science-fiction ?

Ou encore : n’y a-t-il que de mauvais films d’horreur ?

Un peu de provocation dans ces questions, qui sont en fait mal posées. On discutait hier et on essayait de savoir pourquoi certains genres avaient moins les honneurs que d’autres, voire pouvaient être totalement pris de haut ou ignorés par la critique ou une bonne partie du public. On peut s’en attrister, mais c’est certainement dû à ce que les œuvres qui relèvent de ces genres sont mauvaises. Ce n’est pas la faute à un genre en particulier, mais aux seuls réalisateurs, écrivains, artistes.

Il me semble que quel que soit le supposé genre d’une œuvre, si l’œuvre est bonne elle survit, elle est regardée, lue, écoutée. La question de son genre n’a rien à voir avec sa qualité. Madame Karsenti, une de mes vénérées professeurs de collège, quand ses élèves lui parlaient de films d’action, répliquait du tac-au-tac que l’action n’est pas une valeur parce que dans tous les films (ou presque) il y a une action. Objection : certains films, par exemple, ne seraient compréhensibles que parce qu’ils s’inscrivent dans un genre particulier, ou qu’ils en empruntent les codes. Chinatown, de Polanski, serait ainsi un chef d’œuvre mais on ne s’en rendrait compte que parce que l’on sait que c’est un hommage au film noir d’une grande finesse. Qu’il soit un tel hommage est pourtant un incident. Si le film est bon c’est assurément qu’il l’est avant tout selon des critères purement cinématographiques : beaux plans, ajustement du scénario aux images, musique en accord avec l’ensemble, excellent jeu des acteurs, etc.

En poussant à l’extrême, on pourrait considérer qu’il n’y a pas de genre. A l’écrit, il y a bien des classifications très générales comme roman, théâtre, poésie. Mais les bons textes dépassent ses catégories. Je sais que le théâtre de Victor Hugo relève du drame romantique, héritier du théâtre de Shakespeare et qui respecte des tas de codes, où l’on meurt violemment sur scène, etc. Cela peut m’aider dans certains cas à donner plus de sens à ce que je lis, mais cela ne permet pas d’en déterminer la valeur. Je sais que Ruy Blas est meilleur que n’importe quel poème de Sully Prudhomme, et ce n’est pas dû à ma connaissance ou méconnaissance de la poésie française autour de 1900. Bérénice est un petit bijou parce que Racine y a mis des vers sublimes qui en font la grandeur ; et pour un Racine, combien compte-t-on d’auteurs de pièces de théâtre du même siècle, qui employaient les mêmes mots, écrivaient en alexandrins, respectaient la règle des trois unités ? Il existe de bons auteurs de science-fiction mais ce n’est pas parce qu’ils écrivent de la science-fiction. C’est parce qu’ils écrivent bien.

Si ces auteurs sont moins connus que d’autres (encore que), sont méprisés, considérés avec condescendance, je vois deux explications possibles.

La première est qu’ils sont mauvais. Représentant une part modeste de l’ensemble des écrivains du monde, il serait tout à fait concevable statistiquement que malheureusement il n’y en ait pas un seul de bon… ou que les bons écrivent autre chose.

La deuxième explication est que le goût d’une époque ne constitue pas un bon jugement. On ne juge jamais bien les hommes si on ne leur passe les préjugés de leur temps ; cela vaut bien pour un film ou un livre. On peut tout à fait préférer Le Chevalier avare de Rachmaninov à Dido and Aeneas de Purcell, or le premier est assez calamiteux, le deuxième un chef d’œuvre : c’est un jugement qui ne dépend pas de mon goût personnel, on dirait presque que c’est un fait. Le problème est qu’il faut alors attendre longtemps pour juger, pour s’extraire d’un contexte, de l’esprit du temps, et même en attendant rien n’est jamais totalement absolu… Dans leur Dictionnaire de la bêtise, Jean-Claude Carrière et Guy Bechtel n’ont pas fait autrement, refusant d’inclure des citations trop récentes. Cela n’empêche pas que s’ils refaisaient un tel dictionnaire aujourd’hui ils en modifieraient sûrement le contenu.

Peut-être aujourd’hui pense-t-on pis que pendre de la science-fiction, peut-être demain ne lira-t-on plus les dizaines d’essais écrits par nos hommes politiques et journalistes qui paraissent chaque année. Si nous ne le faisons pas ou ne savons pas le faire, la postérité fera le tri.