Le mélomane tatillon

Je tombe sur un disque d’œuvres pour piano pour la main gauche au premier abord assez tentant. Comme on le sait peut-être, ce genre assez particulier m’est familier. A l’écoute, il se trouve malheureusement que le pianiste n’est vraiment pas à la hauteur, et qu’en plus il a tendance à raconter n’importe quoi dans le livret de son disque.

J’avais été attiré par l’un des morceaux du disque, le Concerto pour la main gauche de Maurice Ravel dans laquelle l’interprète joue avec sa seule main gauche la partie de piano et la partie d’orchestre. Trop beau pour être bon ? La transcription est du pianiste lui-même, assez infidèle en bien des passages (mais comment rendre l’orchestre de Ravel avec une seule main, et qui la pauvre de surcroît doit déjà jouer une partie de piano concertant ? forcément, on en laisse de côté). Dommage, toute la noirceur du morceau est évacuée, les passages jazz sont plats, et le tout prend 21 minutes pour des interprétations habituelles comprises entre 15 et 18 minutes. C’est globalement raté.

Paul Wittgenstein, dédicataire de l’œuvre, n’a pas modifié le concerto de Ravel pour le simplifier, mais pour qu’il sonne mieux, ce qui est différent, la modernité de Ravel ne lui ayant tout d’abord pas convenu. Il reviendra plusieurs années plus tard sur cet acte et fera son mea culpa auprès du compositeur.

Par ailleurs : non, les œuvres pour la main gauche de Saint-Saëns, Alkan, Blumenfeld, n’en déplaise à l’interprète, ne sont pas introuvables dans le commerce. De plus, Brahms n’a pas écrit une transcription pour la main gauche de la Chaconne de la deuxième partita pour violon de Bach parce qu’il voulait que le pianiste ressente les mêmes sensations et difficultés techniques qu’un violoniste. Il l’a écrite pour Clara Schumann à une période où elle ne pouvait se servir de sa main droite. En plus, par rapport au morceau d’origine, Brahms a tout décalé d’une octave dans le grave, ce qui fait que le morceau sonne dans la tessiture du violoncelle.

Enfin : je ne sache pas qu’il existe de version au piano pour la seule main gauche de La Valse de Ravel dans le commerce (mais j’ai peut-être mal cherché), et il me semble que les danses baroques qui ont inspiré Saint-Saëns pour sa Suite sont du XVIIe ou du XVIIIe et non du XVIe siècle.

Qui trop embrasse mal étreint, tout le monde n’a pas le talent d’un Liszt ou d’un Gould pour se passer d’un orchestre comme cela ; ni pour se passer d’un ami musicologue ou spécialiste pour rédiger un texte d’accompagnement. Ni une technique infaillible pour transcrire et jouer des morceaux si complexes.

 

Maxime Zucchini, Œuvres pour la main gauche - Anthologie Volume 1 - Ad Vitam (2012)

Leon Fleischer, Recital - Sony Classical (1993) ou Michel Beroff, Œuvres pour la main gauche - EMI (1988), pour de bonnes interprétations de la Suite de Saint Saëns pour la main Gauche, ainsi que de l’Etude de Blumenfeld

Marc-André Hamelin, Live at Wigmore Hall - Hyperion (1994) pour une bonne interprétation de la Fantaisie d’Alkan pour la main gauche

Samson François (piano), et André Cluytens, Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire (1960) ou François René Duchâble (piano) et Michel Plasson, Orchestre du Capitole de Toulouse (1996) pour d’impérissables concertos pour la main gauche de Ravel.