Charles Dantzig a encore frappé

A chaque fois c’est la même chose, ça tient du fanatisme et je ne me soigne pas : je me jette sur le nouveau Charles Dantzig et le goûte, l’apprécie comme un vieux single malt qui dévoile ses arômes lentement, épousant, enveloppant les contours du verre pendant qu’on le laisse s’aérer.

Charles Dantzig aime les listes et les petits chapitres façon fiche (ce qui n’est finalement pas si éloigné), disons plutôt des textes brefs en général et qui se succèdent, pour constituer ses livres. C’est qu’il préfère laisser des trous : ne pas tout dire, laisser le lecteur reconstituer à sa guise ce que l’auteur ne dit pas, à son idée. Charles Dantzig fait incroyablement confiance au lecteur, et il le dit joliment façon aphorisme ou devise : [La littérature] ne s’adresse à personne en pensant que tout le monde est à son meilleur, les religions abaissent les meilleurs en ne parlant qu’à un troupeau.

Son précédent livre était un roman, où il brossait au cours d’un voyage en avion le portrait d’un ami (Dans un avion pour Caracas). C’était d’habiles courts chapitres bien juxtaposés qui, par pointillisme, formaient un beau tableau d’ensemble. Son nouveau livre est donc un essai, consacré au chef-d’œuvre en littérature. C’est par des textes d’une à deux pages, parfois à peine plus, qu’il bâtit son ouvrage, qui a l’apparence d’une simple discussion autour de ce mot un peu intimidant de chef-d’œuvre. Peut-on écrire un chef d’œuvre à la demande ? Y a-t-il des critères pour reconnaître un chef-d’œuvre ? On tourne autour, on essaie de défricher, d’y voir plus clair, et ce n’est qu’un prétexte pour parler de littérature. On y lit quelques très belles lignes sur la jeunesse, sur l’évidence et l’émotion qui sourdent à la lecture du chef-d’œuvre, que l’on découvre bien souvent seul dans son coin le livre à la main. Le chef d’œuvre est inattendu, il a du fulgurant ou du fugace en lui que le lecteur, loin des critiques ou des snobs, comprend pleinement une fois seul face à lui.

L’auteur nous glisse bien de ses goûts, comme dans ses précédents essais Dictionnaire égoïste de la littérature française, et Encyclopédie capricieuse du tout et du rien ; on sourit souvent et l’on a droit à quelques charges, contre le roman réaliste (dans lequel il n’y a pas de trous, où tout est écrit justement) ou Marguerite Duras, car à l’instar de ceux de Jacques Drillon, les livres de Dantzig sont personnels, partiaux. Et c’est précieux.

Alors le chef-d’œuvre, fin de tout pour un auteur ? Le chef-d’œuvre est toujours imparfait car l’auteur est homme, nous dit Charlie. C’est un facteur de charme supplémentaire. Je me demande de quoi il ne va pas parler, guettant les apaisements de sa prose, les passages où les exemples et références nombreux vont l’être moins ; en somme, les instants de faiblesse qui rapprocheront encore un peu plus l’ouvrage de son sujet.

A propos des chefs-d’œuvre, C. Dantzig, Grasset, janvier 2013