Du und Du

A une époque pas si éloignée, disons jusqu’à la veille de la deuxième guerre mondiale, tout pianiste concertiste ou presque avait à son répertoire un ensemble de morceaux de son cru, d’après des airs célèbres alors en vogue. Cette habitude vient directement de Franz Liszt (1811-1886), pianiste virtuose et compositeur qui a inventé le récital : un artiste qui joue seul devant un public. Pour ses besoins personnels de démonstration de puissance pianistique, Liszt a toute sa vie réécrit, retravaillé des thèmes, des mélodies d’opéra, des airs d’œuvres d’autres compositeurs de son temps et des siècles passés. Il a aussi transcrit un paquet d’œuvres pour son instrument, les symphonies de Beethoven ou une bonne partie du Requiem de Mozart par exemple. Liszt a laissé plus de deux cents de ces transcriptions, pots-pourris, paraphrases ou autres réminiscences de quelque chose, et le résultat redoutable pour le pianiste est passionnant pour l’amateur de piano.

Les pianistes du début du siècle passé, tous ses héritiers quand ils n’ont pas été ses élèves, ont eux aussi (mais dans une moindre mesure) cultivé le genre de la transcription virtuose, de la paraphrase injouable sur un air connu. Morceaux de choix du récital, c’était souvent plein de pièces pas toujours impérissables du point de vue de la composition, mais qui faisaient le bonheur du public.

Aujourd’hui ? presque rien. La tradition s’est perdue, les programmes sont souvent classiques (une sonate de Mozart, une de Beethoven, une de Schubert et hop, rentrez vous coucher). On a tendance à dédaigner ce répertoire jugé pas sérieux et à éventuellement traiter par le mépris les pianistes qui essaient de le perpétuer. Cyprien Katsaris, Marc-André Hamelin, Stephen Hough sont les seuls exemples d’artistes contemporains internationalement reconnus qui me viennent à l’esprit, pratiquant ce répertoire à l’envi. Alors même que Mozart, Beethoven, Mendelssohn improvisaient dans leurs concerts sur les mélodies de leur temps, et je ne parle même pas de Bach.

Sur la trentaine de récitals que j’ai dû voir dans ma vie, je ne sais pas si j’ai entendu cinq transcriptions de Liszt. J’ai parfois envie d’écouter des crépitements, des flammèches, de l’explosif, les impossibles mais tellement renversantes Arabesques sur des thèmes du Beau Danube Bleu de Schulz-Evler par exemple. Ça changerait des nocturnes de Chopin.

Par ailleurs, il y a le disque.