Le goût bizarre des choses sacrées

Et non pas le goût des choses sacrées bizarres ; en effet j’ai du mal avec Fra Angelico et ce style de peinture approchant, mais personne n’est parfait.

Je ne suis pas croyant. Les religions me laissent froid souvent, m’effraient, pour dire le moins, parfois. Qu’on puisse se donner à quelque chose de supérieur, d’immatériel, d’intangible, et qui a par ailleurs pu conduire à plus de morts que n’importe quelle autre doctrine, me stupéfie.

Pourtant, j’entre dans les églises. J’admire les mille ans d’architecture religieuse de l’Europe, même si je ne fais pas le crochet par toutes les abbayes près desquelles je passe (il y en a tellement…). Je tiens les deux cents cantates de Bach pour le plus extraordinaire corpus de musique qui ait jamais été écrit en occident, qui pourtant ne l’a été qu’à la seule gloire de Dieu, devise du compositeur. Il est de motifs moins avouables. Je respecte le silence bénédictin qu’on demande de tenir au Mont-Saint-Michel, et m’offusque que dans l’abbatiale quasiment personne ne le garde (et que dire du réfectoire, où tout le monde croit chuchoter alors que l’echo y est assourdissant).

Je m’étonne de l’intolérance de ces jeunes gens serre-tête, qui se croient pourtant les hérauts du contraire, qui distribuaient des tracts, disaient des insanités grosses comme leur bêtise et aussi laides que leurs pulls roses et leurs enfants porteurs de drapeaux (l’instrumentalisation des enfants est bien plus que laide, mais je ne trouve pas de mot), et ont vomi leur bile pendant au moins trois soirs de mes vacances : à Rennes, Vannes et Angers ; ce qui est beaucoup en treize jours.

Pourtant, c’est à Angers justement que j’ai eu une très grande émotion esthétique (pléonasme ?), certainement la plus intense de ces dernières années : la découverte de la tapisserie ou tenture de l’Apocalypse, œuvre religieuse qui narre en laine tissée l’Apocalypse de Jean. Ce genre artistique est loin d’être de mes favoris. Cette merveille de plus de cent mètres de long, dont les couleurs ont passé, que l’on devine dans la pénombre des 40 lux d’éclairage que requiert sa conservation, est infiniment touchante. À la fois témoin du temps (costumes, cultures, armes), objet de démonstration du prestige de son propriétaire et exemplification en bande dessinée de cette fin du Nouveau Testament, l’œuvre est renversante de beauté. Les drapés, les visages, les monstres notamment sont rendus avec un art et une finesse incroyables pour voir que la tenture date de 1380.

Ce goût des choses sacrées, on le doit à l’architecture, à la musique, à la littérature parfois, bref, aux arts. À rien d’autre.