Un siècle

Aujourd’hui, il y a cent ans exactement que la première du Sacre du printemps de Stravinsky a été donnée.

Demandez à des musiciens et chanteurs de citer une oeuvre de musique qui a marqué le siècle passé, je suis prêt à parier que la majorité vous répondra Le Sacre du printemps, loin devant le Boléro de Ravel ou Yesterday des Beatles.

Cette grosse demi-heure de musique ne laisse pas indemne. Elle est si violente et éruptive, ses rythmes si sauvages et agressifs, son orchestration parfois si glaçante que je me demande qui peut sincèrement dire avoir apprécié l’oeuvre à la première écoute (à moins peut-être de la découvrir après des oeuvres aussi ardues sinon plus, ou de baigner dans une famille à forte culture de musique savante). Comme beaucoup d’oeuvres difficiles, il faut un peu de persévérance pour se laisser apprivoiser l’oreille. Ce processus, comme lorsque l’on se trouve face à toute réelle nouveauté d’ailleurs, ne peut venir que d’une démarche volontaire, personnelle ; si un proche peut guider dans la découverte, aiguillonner, expliquer, communiquer un enthousiasme, l’effort du premier pas vient de soi et de personne d’autre. (Je veux dire nouveauté au sens fort : une oeuvre vraiment différente de ce à quoi on peut être habitué au quotidien, quelque chose qui vous fasse sortir de vous.)

Je ne me souviens pas bien de ma première écoute du Sacre du printemps, ni de la familiarité que j’ai pu développer ces dernières années avec ce morceau. Il ne fait pas partie de ceux que j’écoute régulièrement. Une nouvelle première a été récemment d’entendre l’oeuvre lors d’un concert, par l’Orchestre National de Lyon dirigé par Leonard Slatkin. L’interprétation m’a parue d’un engagement incroyable : les musiciens et le chef semblaient tous hyper concentrés, très précis, certains suant plus que de raison, pour sortir des entrailles de l’orchestre ces sons et mélodies si fortes. Je suis sorti de la salle littéralement étourdi par la grandeur de la musique.

Les rééditions d’enregistrements du Sacre sont nombreuses, l’industrie du disque aimant beaucoup les anniversaires. Avec le pavé de 38 versions édité par Decca, Fabrice et moi avons décidé de mettre à l’écoute toutes les versions présentes dans la discothèque, soit 50 gravures en incluant les versions à deux pianos. Il est assez fascinant de voir les différences de conception que peuvent avoir les chefs, et l’exécution que chefs et orchestres arrivent à donner de ce morceau complexe ; certains orchestres sonnent comme des casseroles quand d’autres sont rutilants de virtuosité.

Les musiciens, comme les auditeurs, ont eux aussi progressivement apprivoisé cette oeuvre d’un siècle.