Qui est le héros d'un roman ?

Drôle de question ; je vous la pose.

Je discutais avec Fabrice, l’autre soir, de ce que les notes de l’édition Folio d’A la recherche du temps perdu ne parlent jamais du personnage qui dit je dans le livre comme du narrateur, mais comme du héros. Or, pourtant, s’il est indubitablement narrateur, est-il pour autant le héros ? Rien n’est moins sûr. La galerie de portraits par laquelle on passe à la lecture et d’autres choses évoquées constamment, l’art, la mémoire, le passage du temps font le récit au même titre que les habitudes du narrateur, et en sont bien les héros.

Qui est le héros d’un roman ? Un roman a-t-il seulement un héros, ou doit-il en avoir un ? La question même du héros dans un roman a-t-elle une quelconque importance ?

Je me rappelle de lointains cours de français et un professeur de quatrième, qui soit dit en passant enseignait aussi le latin, le grec ancien et l’hébreu, parlait le grec moderne, et très possiblement des langues moins exotiques telles que l’anglais, l’allemand et l’italien, vu comme elle nous saupoudrait ses interventions de Londres, de Heine et de Toscane, c’est-à-dire avec l’envie de ceux qui ne peuvent s’en passer, mais la question n’est pas là, que j’ai pourtant posée. C’était madame K., qui a habité avenue Jean Jaurès à Boulogne-Billancourt dans le même immeuble que mon père ; mais je soupçonne que de nous deux j’étais le seul qui sache que nous avions ce lieu commun. Car je l’ai compris par recoupement. Et que croyez-vous que madame K. fît en son docte rôle professoral ? Elle demandait pernicieusement à ses élèves qui de Pierre ou de Jean est le héros dans Pierre et Jean de Maupassant. Drôle de question ; je vous la pose. Je n’ai pas souvenir des discussions et des réponses des uns et des autres. Les paysages de Normandie, n’est-ce pas. Nos professeurs de français ont l’art de l’amusement intérieur.