Dix livres pour finir l'été doucement

Ça passe comme un rosé bien frais, c’est court mais c’est grand.

Vies minuscules, de Pierre Michon (Folio). Selon mon libraire, un livre majuscule. On ne ressort pas indemne de ces petits portraits croisés, de gens que Michon connut surtout dans son enfance dans la Creuse. Michon a la force de ses images, de ses phrases longues et fleuries auxquelles je trouve plus d’une parenté avec celles de Saint-John Perse ou de Proust dans le côté Ah ! vous croyiez que c’était fini, mais non, vous reprendrez bien quelques petites propositions, deux trois comparaisons et digressions, et notez comme à la fin je finis la phrase en retombant sur mes pattes.

Les Grandes Blondes, de Jean Echenoz (Minuit, Double). Des types cherchent à rattraper une actrice qui a eu son heure de gloire, pour le compte d’un producteur de télévision qui souhaite faire un documentaire sur les grandes blondes au cinéma. Tous échouent. Echenoz maîtrise son récit avec tant de finesse qu’il nous mène où il veut, à la poursuite de cette mystérieuse Gloire Abgrall (quête du Graal ?), et toujours avec cet manière inimitable de prendre une distance sur ce qu’il est en train d’écrire et de faire lire au lecteur. Aérien et subtil : rien ne pèse chez Echenoz, qui à l’art de la légèreté allie le grinçant et l’ironique que le quotidien réserve souvent.

Lettres à Eugène, correspondance entre Hervé Guibert et Eugène Savitzkaya (Gallimard). L’amour à sens unique d’Hervé pour Eugène, en quelques lettres toutes de vie et de littérature.

La Disparition de Jim Sullivan, de Tanguy Viel (Minuit). Viel veut écrire un roman américain, avec ses codes, ses clichés incontournables. Il nous balade, un peu à la manière d’Echenoz, sans qu’on réalise immédiatement les petites manipulations dont on est l’objet. C’est si bien fait que plus dure est la chute.

À quoi jouent les hommes, de Christophe Donner (Grasset). Une histoire du pari mutuel urbain, sur plusieurs générations, doublée d’une ode aux courses de chevaux et à la passion de l’auteur pour icelles. Un grand roman plein du souffle qui fait traverser les siècles et les pages sans que l’on s’en aperçoive.

La Prisonnière, de Marcel Proust (Folio). Le narrateur aime Albertine, mais en est-il bien certain ? P’tet ben qu’oui, p’tet ben qu’non. Rien n’est simple. (Chute à la page 399, après 400 pages de tergiversations délicieuses.)

Noir, de Michel Pastoureau (Points Seuil). Une histoire de la couleur noire, passionnant jeu de piste à la croisée de la symbolique, de l’histoire, de la mode.

La Liseuse, de Paul Fournel (Folio). La vie d’un éditeur ancienne mode, à qui on a offert une liseuse pour le boulot, qui aime le Brouilly et materne les stagiaires. Un court roman sur le plaisir de lire. Ici aussi, légèreté et simplicité : on a envie de ne lire que des textes comme celui-ci, qui n’appuient pas, qui passent tout seuls.

Through the window, de Julian Barnes (Vintage books). Un regroupement d’une quinzaine de textes publiés dans des journaux et revues anglophones, principalement sur des écrivains anglais et américains ayant (eu) une relation privilégiée avec la France. À noter un très beau texte sur Prosper Mérimée et le premier recensement des monuments historiques.

Mont-Oriol, de Guy de Maupassant (Folio). Un grand roman réaliste, bien que le moins connu de son auteur avec Fort comme la mort (mais qui, lui, est nettement moins bon). On suit une petite société de curistes dans une station imaginaire de l’Auvergne, et l’essor des thermes nouveaux qu’un homme d’affaires a lancés après avoir découvert des sources sur le Mont du Père Oriol. Satire violente et pessimiste de la bourgeoisie, ce court livre parvient à conserver son plein d’humour avec ses personnages hauts en couleur (les paysans roués, les jeunes femmes snobs, le dandy débonnaire, l’amoureux romantique à souhait).