Chose vue

Ce matin, sur la ligne D du métro lyonnais, en direction de Gare de Vaise, un jeune homme est monté dans ma rame, à la station Bellecour, il me semble, mais je ne saurais l’assurer. Vaguement rouquin, il avait cette coiffure caractéristique de notre époque : heaume de cheveux longs en vague au sommet du crane, poil ras sur les tempes et la nuque, barbe mi-buisson, mi-construction. Il portait un pull-over en jersey comme en tricote ma tante Michèle, mais comme aucun que ma tante Michèle ait jamais tricoté : un clown rigolard en occupait le ventre, avec un pompon rouge en guise de nez, environ au niveau du nombril du jeune homme. Sitôt assis, celui-ci quitta son si beau pull : un T-shirt informe, avec un pantalon tubulaire, emballaient son corps filiforme.

Quelques stations plus loin, sans doute à la station Gorge de Loup, peut-être à Valmy, un second jeune homme est monté, sans voir le premier, sans être vu de lui non plus, et est resté collé à la porte de la rame. Son sweat-shirt éblouissait, par son blanc fluorescent d’abord ; par les étoiles jaunes, rouges et vertes qui le parsemaient, surtout : on l’eut dit taillé dans un reste de la moquette de la piste aux étoiles. Craignant sans doute une pluie soudaine, la chute d’un pot de fleur, ou le risque de passer inaperçu, il s’était coiffé d’un chapeau melon noir. Entre le couvre-chef d’ombre et l’habit de lumière : la barbe rituelle, les lunettes de plastique vintage, l’air blasé.

Le terminus approchant, le premier jeune homme se leva, remit son pull-à-clown et se dirigea vers la porte que gardait toujours le second. Ils se virent et marquèrent un temps de surprise : sans un mot, sans le début d’un sourire, ils se toisèrent d’un regard méprisant. Les portes s’écartèrent, ils sortirent et marchèrent côte à côte jusqu’à l’escalator sans plus se regarder. Ils n’existaient plus l’un pour l’autre : certains et fiers, chacun de son côté, d’être unique.