In memoriam Zézette (aut Didile)

Dimanche dernier, ma mère m’a annoncé la mort d’une de mes grand-tantes. Je l’aimais beaucoup. Je ne sais pas exactement qui elle était.

Comme si ma famille n’était pas assez pléthorique avec les quatorze frères et sœurs de mon père et les innombrables enfants qui en ont résulté, la masse accumulée des oncles et tantes, des cousins, des cousines, attirait autour de la maison de mes grands-parents nombre de satellites plus petits ou de comètes de période irrégulière. Ils donnaient à mon enfance comme un zodiaque mythologique et berrichon, qui compensait en pittoresque ce qu’il cédait en grandeur à son équivalent officiel.

Il y avait la Mère Dédion qui n’avait plus d’âge et qui vivait dans une maison dont le lierre tenait les murs et recouvrait la véranda que d’autres plantes remplissaient. Lorsqu’elle devait quitter sa grotte fleurie, elle passait sa blouse florale et se protégeait la tête de sa capote en plastique transparent imprimé de marguerites. Elle en nouait soigneusement la jugulaire, pour qu’elle ne s’envole pas en route : fin prête, elle démarrait sa mobylette et, dans un nuage irisé, elle parcourait les deux cents mètres qui la séparaient de ma grand-mère. Son arrivée était comme les phénomènes naturels les plus extrêmes, les séismes, les tsunamis, les pluies de grenouilles : le chien se mettait à aboyer, un grondement s’élevait, un nuage d’essence masquait le soleil, la Mère Dédion apparaissait. Je m’émerveillais que ma grand-mère puisse prendre le café avec cette divinité fleurie, ancestrale et pétaradante. Elle lui offrait du gâteau.

Il y en avait bien d’autres. Matthias, qui s’était coupé le bras avec sa tronçonneuse un jour qu’il était saoul, qu’on avait recousu et qui n’en finissait pas de commencer à pouvoir bouger ses doigts : il passait devant la maison de mes grands-parents au volant de son tracteur et il ne m’impressionnait pas moins qu’Apollon guidant son char, car lui avait un bras qui ne tenait qu’à un fil. Chapus, qui était maire et, à ce titre, dans mon esprit, une sorte de notable quelque part entre Zeus et le facteur : pourtant, mon grand-père le tutoyait et lui offrait de sa gnôle un peu trouble qu’il gardait dans la réserve, à côté de la cuve à fioul.

Mais surtout, il y avait un être formidable et bicéphale dont l’apparition imprévisible et soudaine me remplissait de joie : quand la Clio blanche passait le virage à côté du pré où l’Anglais laissait ses chevaux, je savais qu’arrivaient la Didile et la Zézette. C’étaient deux bonnes campagnardes, veuves toutes deux je crois, qui portaient des robes à imprimés fleuris et qui marchaient en écartant les jambes comme John Wayne. L’une des deux était plutôt petite, voûtée, avec de beaux cheveux blancs bouclés ; l’autre était grande, épaisse et encore brune. Les deux parlaient fort et étaient fort gentilles. L’une d’elles savait conduire, l’autre était ma grand-tante. (C’était la sœur de mon grand-oncle Bébert.) Je n’ai jamais su laquelle était laquelle.

Récemment, donc, ma grand-tante Odile ou ma grand-tante Josette est morte à l’âge de 81 ans.