Quatre premiers romans

Lire un premier roman fait toujours un effet un peu spécial, celui de l’inédit. La découverte d’un romancier et de son univers qui se dévoilent comme neufs est une expérience agréable : on entrevoit ses thèmes de prédilection, ses marottes, ses tics d’écriture, ce qu’il pourrait devenir littérairement parlant. Les écueils pour le jeune romancier peuvent être nombreux ; j’en vois deux principaux : être pollué par ses lectures, les resservir de façon trop évidente au lecteur, et ne pas parvenir à intégrer finement à son livre la bibliographie qu’il aura pu rassembler autour des thèmes de son roman. (Ces écueils sont aussi ceux du romancier confirmé, mais dans une moindre mesure, car il a plus d’expérience.) Ces dix derniers mois, j’ai lu quatre ouvrages de jeunes gens qui, chacun à leur manière, évitent ces écueils en proposant un premier roman plein de brio.

La vraie vie de Kévin, de Baptiste Rossi (éditions Grasset, 2014). Kévin, un adolescent banal, joue aux jeux vidéos la nuit et s’ennuie au collège le jour. Survient dans sa vie un producteur de télévision qui le repère, et en fait le héros d’une émission de téléréalité. Dans cette émission, le public décide des moindres faits et gestes de la vie quotidienne de Kévin. Le jeu va rapidement prendre des proportions inattendues et tourner mal. Les personnages principaux (Kévin, le producteur, les parents de Kévin) sont caricaturaux pour les besoins de la satyre. Le récit est bien construit, enlevé, drôle : les parodies de statuts Facebook et d’alertes du journal Le Monde, qui ponctuent le récit, sont très bien trouvées. Pas mal pour un jeune auteur de 19 ans !

La synthèse du camphre, d’Arthur Dreyfus (éditions Gallimard, 2010). Arthur Dreyfus mêle deux histoires. La première est celle d’un jeune homme passionné de chimie, amené à entrer dans la résistance durant la seconde guerre mondiale. La seconde est contemporaine, c’est le récit d’une passion amoureuse naissante entre un jeune français de 15 ans et un américain, qui n’échangent que par mail. On découvre, à mesure que la narration avance, les liens que tisse l’auteur entre les deux histoires. Si la forme est virtuose et la construction du roman subtile, de nombreux passages des mails du second récit sont appuyés, maladroits, très cul-cul la praline. Peut-être à quinze ans l’étais-je autant, sinon plus ? Cela m’a souvent paru peu crédible (je pensais la même chose en lisant bien des passages d’Histoire de ma sexualité, du même auteur), et n’a pas aidé ma lecture.

Évariste, de François-Henri Désérable (éditions Gallimard, 2014). Ce n’était pas un coup d’essai pour François-Henri Désérable : Tu montreras ma tête au peuple, recueil de nouvelles publié il y a quelques années, l’a certainement aidé à écrire ce premier roman. Il y raconte la courte vie du mathématicien Évariste Galois. Galois a vraiment tout du personnage de roman : refoulé au concours d’entrée de l’école Polytechnique en raison de son génie et de son insolence, pétri de convictions dans une période mouvementée de l’histoire de France (1830 : basculement entre la Restauration et la Monarchie de juillet), et finalement défié en duel et abattu à 20 ans. L’auteur écrit dans un style galant, fleuri, qui n’est pas une parodie de la manière dont on écrivait en 1800 en France, mais qui s’en souvient. Tout est vif, tout va vite ; on n’a pas le temps mais il faut suivre, car on est de toute façon emporté dans le flot du récit. Et quel plaisir de lire le français élégant et léger de François-Henri Désérable !

Constellation, d’Adrien Bosc (éditions Stock, 2014). Le livre d’Adrien Bosc a pour thème le vol Paris - New York du 27 octobre 1949, qui s’est écrasé aux Açores avec à son bord entre autres le boxeur Marcel Cerdan et la violoniste Ginette Neveu. L’avion était un Constellation. En une trentaine de courts chapitres, Bosc alterne la description des circonstances du vol et de la catastrophe et revient sur la vie d’une bonne partie des passagers. Que faisaient-ils avant l’accident ? Qu’est-ce qui les a amenés à devoir prendre ce vol fatidique ? Petits et grands destins s’entrecroisent pour se rejoindre quelques heures, qui seront leurs dernières. Adrien Bosc redonne vie à ces inconnus. Il aime aussi les concordances de dates, les coïncidences, les détails qui a priori semblent ne rien avoir en commun mais qui, à y regarder de plus près, peuvent présenter des parentés insoupçonnées. Il en émaille son Constellation, dans lequel il intervient subrepticement en quelques endroits : cela donne à l’histoire un supplément de relief si particulier, qui le démarque du simple récit. La forme est parfaitement maîtrisée ; l’auteur a obtenu le grand prix du roman de l’Académie française pour son roman, prix qui récompense en règle générale un roman écrit dans un très bon français, disons traditionnel : on le constate à la lecture. Le prix est bien mérité.

Évariste est le mieux écrit des quatre : brillant, virevoltant, comme le héros du livre. Je laisserais volontiers La synthèse du camphre de côté : il me paraît nettement en dessous des trois autres.