Bestiaire : le lynx et la taupe

Dame Taupette en son terrier
N’avait que terre dessus ses pieds.
Seigneur Lynx, maître en sa forêt d’hiver blanchie,
Préférait aux affres sombres de la nuit,
Aller au grand air, à sa convenance,
Fringuant félin, pérorant à outrance.

Voyez si mes états s’étendent dessus votre antre,
On s’y perdrait, n’étais-je là comme guide. Diantre !
Clame-t-il tout de go à cette malvoyante,
Votre logis au mien ne peut se comparer !

Et, pour longtemps encore, de tels mots se vante.
La taupe qui laissait dire ne s’en laissait conter.
L’hiver forçait. Elle savait bien
Qu’au fond elle ne manquait de rien ;
Et que pour le lynx rien n’était plus certain,
Qu’il aurait à lutter pour son pain quotidien.

En ses grandes étendues,
Les fortes gelées venues,
Messire perdait de sa superbe
Et bien moins haut portait son verbe :
Le gibier venait à manquer,
Le lynx de se désespérer.

L’orgueilleux lynx maigrit et mourut.
La taupe modeste, cachée, survécut.