Balzac !

Voici comment Balzac présente le personnage M. de Bargeton, modeste nobliau d’Angoulême, dans Illusions perdues. Lucien vient d’arriver chez Mme de Bargeton, qu’il courtise après avoir été introduit dans son salon littéraire, mais il est en avance. Admirez ; un autre auteur aurait simplement écrit que M. De Bargeton était niais, mais Balzac trousse ceci :

Lucien avait déjà commencé son apprentissage des petites lâchetés par lesquelles l’amant d’une femme mariée achète son bonheur, et qui donnent aux femmes la mesure de ce qu’elles peuvent exiger ; mais il ne s’était pas encore trouvé face à face avec M. de Bargeton.

Ce gentilhomme était un de ces petits esprits doucement établis entre l’inoffensive nullité qui comprend encore et la fière stupidité qui ne veut ni rien accepter ni rien rendre. Pénétré de ses devoirs envers le monde, et s’efforçant de lui être agréable, il avait adopté le sourire du danseur pour unique langage. Content ou mécontent, il souriait. Il souriait à une nouvelle désastreuse aussi bien qu’à l’annonce d’un heureux événement. Ce sourire répondait à tout par les expressions que lui donnait M. De Bargeton. S’il fallait absolument une approbation directe, il renforcait son sourire par un rire complaisant, en ne lâchant une parole qu’à la dernière extrémité. Un tête-à-tête lui faisait éprouver le seul embarras qui compliquait sa vie végétative, il était alors obligé de chercher quelque chose dans l’immensité de son vide intérieur.

Et c’est ainsi que Balzac est grand.