Andrée

Andrée, quatre-vingts ans bien tapés, s’appuyait tant bien que mal à son déambulateur. Ses courtes jambes potelées ne la portaient plus, elle dérivait sur le trottoir, j’ai bien cru la voir tomber de toute sa hauteur. Je l’ai rattrapée avant.

Anne, son amie, était bien maigre et le bras qu’elle essayait de donner à la pauvre Andrée n’était que pure politesse. Andrée eût-elle faibli un peu plus qu’Anne l’aurait suivie dans sa chute, sans pouvoir faire quoi que ce soit.

Anne était bien bonne : cela faisait trois quarts d’heure (m’a-t-elle avoué) qu’elle ramenait Andrée jusqu’à son appartement, depuis le centre de santé Sevigné où Andrée s’était probablement rendue pour faire des examens. Le centre n’est qu’à trois rues de l’endroit où j’ai rencontré ces deux dames, je vous laisse imaginer l’allure empressée de leur marche.

J’allais faire le marché du jeudi soir. Andrée n’en pouvait plus, je me suis arrêté, l’ai soutenue tant bien que mal sous les bras jusqu’à un rebord de fenêtre plus bas que les autres où je l’ai assise. Elle a poussé un petit cri quand ma main a glissé sous sa cuisse, à la fin de l’opération. Je méditais silencieusement sur les ravages de la vieillesse et écrasait mentalement une larme, constatant les forces physiques qui abandonnaient lâchement la pauvre femme ; j’ai demandé s’il fallait prévenir un proche, le samu, qui sais-je. Oh non, Andrée habitait juste à l’angle de la rue suivante (Jean Larrivé, sculpteur). Elle allait se reposer dix minutes et repartirait très bien, ne vous inquiétez pas. Je m’inquiétais.

Au marché, je n’ai trouvé qu’un kilo d’abricots. En rentrant je suis repassé devant le rebord de fenêtre, Anne et Andrée venaient de se relever et se dirigeaient dans la rue de l’invalide, à pas comptés. Andrée se traînait mais progressait. Les deux amies ne m’ont pas vu, je me suis éloigné. Dors bien, Andrée, j’espère que tu n’as pas à faire ces quelques dizaines de mètres trop souvent.