Fonte

D’une précocité fort variable, très jeune je-sais-tout insupportable mais tardivement éveillé aux choses de la vie, je ne sais dire si, à trente-six ans, ce qui me travaille est une crise retardée de la trentaine ou une, anticipée, de la quarantaine.

L’élément déclencheur fut une piscine, ou plutôt les baigneurs qu’elle rassemblait : une bande d’amis faméliques, tout en veines, en tendons et en muscles secs, que l’on voudrait asseoir de force, pour leur bien, devant un bol de bouillon gras, et au milieu desquels mon arrivée rappelait ce documentaire où les gazelles s’écartent du point d’eau pour faire place au vieil hippopotame qui revient de pâture. J’étais leur aîné à tous mais, surtout, on pouvait croire, à ma silhouette, qu’il en manquait un car je l’avais mangé.

L’épicentre de la crise s’est donc situé sous mon nombril, au centre de la sphère que devenait lentement mon abdomen et qu’il s’agissait de faire oublier. J’aurais pu opter pour la diversion, comme le font les magiciens et les vieux messieurs fortunés, en détournant les regards vers un objet qui brille. J’aurais pu m’acheter une voiture rouge, dont on sait qu’elles sont les plus rapides, mais dont j’ai déterminé de longue date qu’elles sont voitures d’impuissants. (Certains baigneurs faméliques, d’ailleurs…)

J’ai préféré redonner l’un de mes vieux numéros d’amuseur public : Ventre plat avant l’été, tous les ans à l’affiche avec le même succès, soit quelques bourrelets en plus et un stock renouvelé de blagues à mes dépens, avec parfois des guest stars prestigieuses, comme ce médecin du travail qui m’avait prévenu gentiment qu’il n’est pas raisonnable de prendre dix kilos tous les deux ans.

Je l’avais abandonné, dernièrement, ce numéro, de peur de lasser mon public et de peur aussi qu’il finisse par devenir trop désespéré. Il n’y avait qu’à ajuster le titre pour lui donner un coup de jeune : Ventre plat avant la quarantaine, ce qui avait l’avantage de me donner quatre années de sursis.

Tout ceci était il y a quatre mois, déjà, quatre mois de menues privations et d’exercices quotidiens, quatre mois de pertes d’abord ténues puis de plus en plus visibles. Voilà qui est nouveau : le résultat n’est pas celui attendu, mais celui espéré. Puisqu’on vit à l’heure du quantified self, quelques chiffres : huit kilos perdus, soit dix pour cent de mon poids initial, soit soixante-quinze pour cent de celui du chat de mes parents.

Pour fêter cela, ce matin, je me suis acheté deux pantalons, taille 40.