Mireille et Madeleine

Mes grands-parents s’appréciaient et se fréquentaient. Guy aimait le côté rustique et homme de la terre qu’avait conservé Roland, même s’il était venu s’installer à Paris avec Madeleine dès 1949 (Roland avait 28 ans et Madeleine en avait 19), et sa grande culture de la nature, des métiers du bois, du mobilier ; Roland qui adorait la conversation devait savourer la culture encyclopédique de Guy, enfin tous deux avaient des sympathies communistes. Madeleine et Mireille appréciaient chacune la femme forte que l’autre était à ses yeux, les deux l’étaient assurément, dirigeant leur petit monde (et leurs maris surtout) comme bon leur plaisait.

Les deux couples se voyaient en dehors de tout événement qui aurait assuré leur présence simultanée : mariage, enterrement ou fête de famille très élargie ; en particulier, ils ont continué à se rencontrer ponctuellement lors de vacances aux quatre coins de la France, après le divorce de mes parents, ou parfois juste le temps d’un week-end en Bourgogne ou au bord de la Loire, à l’occasion d’un déjeuner dans une auberge de bord de nationale à l’entrée d’une sous-préfecture. Ne croyez pas que je force le cliché, car c’est réellement ainsi qu’ils prenaient plaisir, oh, certes pas tous les quatre matins mais peut-être une fois l’an, à deviser sur les moments et les lieux qu’ils ont pu connaître, la guerre, le Paris des années 1950, la Brie, la Bretagne et la Sologne.

Madeleine a été bien désolée de la mort de Mireille, quand même jeune, elle pensait aussi à Guy qui n’avait pas mérité ça non plus. Je me demande si Madeleine se remémore tout cela aujourd’hui en triant ses papiers et ses photos, dans son bureau, le soir autour de minuit, son heure. J’y pense parce qu’elle doit y être en ce moment-même, à ranger les souvenirs en tas étudiés et en classeurs organisés, commentant à voix basse pour meubler le vide sonore de la pièce. C’est que le temps ne lui n’a laissé que cela ou presque, et pour elle seule.