Puisque tu passes par là

Il va donc falloir passer ses vacances en France, désormais. Les ennuis commencent.

Passons rapidement sur ce trou noir qu’est Clermont-Ferrand : qui s’en approche trop près en subit l’immanquable attraction. Pas celle que vante l’office du tourisme, cathédrale de pierre noire, Puy de Dôme pour horizon, court-métrage en festival, non ! L’attraction plus implacable de l’invitation à déjeuner chez ma mère. À cent kilomètres à la ronde, puisque vous passez par là… La spirale se resserre, ma mère nous ressert : d’apéritif en pousse-café, le déjeuner devient goûter, nous finissons trop lourds, vaincus par la gravité.

Mais ce risque est un plaisir, évidemment, et relativement localisé. Tandis qu’une menace plus diffuse angoisse la métropole entière : les quatorze oncles et tantes du côté de mon père, leurs conjoints, les innombrables cousins et cousines qui en ont résulté et, ce qui ne nous rajeunit pas, les petits-cousins qui grandissent désormais. Ma mère seule sait en tenir le compte : elle doit avoir élaboré un atlas, avec un index par département et des entrées thématiques, une sorte de guide très spécialisé qui lui permet de trouver pour chaque destination un parent pittoresque. « Toi qui aimes la viande, quand tu seras à Aurillac, passe donc voir ton cousin Jolan, il sert à la boucherie. »

Je la soupçonne parfois d’en inventer pour me tester.

Pour les oncles et tantes, on ne m’y prend pas : je connais les prénoms par cœur (Daniel, Maryse, Sylvie, Yves, Gilles, Fabienne, Carole, Lydie, Nathalie, Marie, Arnaud, Noëlle, Nadège, Agnès) et bon nombre des par-alliance (Chantal, Guy, Mireille, Yves, Thierry, Louis, Alain).

Mais pour ce qui est des cousins… Je connais ceux qui étaient nés, disons, avant mes douze ans (Isabelle, David, Delphine, Marie-Laure, Philippe, Cindy, Jérôme, Christophe, Laurent, Aurélie, Clémence et Constance) et, parmi les autres, je n’ai retenu que quelques prénoms originaux (j’ai un cousin Wilfried, quelque part). J’avoue avoir renoncé. À quarante ans, on a passé l’âge de rencontrer des inconnus avec lesquels on n’a rien en commun sinon l’asthme de la grand-mère et le nez du grand-père – ce qui est déjà beaucoup : on est un bébé charmant avec un nez en bouton, on attendrit les vieilles dames, on s’habitue,  mais arrive l’adolescence et cet appendice se prend à pousser, immanquable, avec sa bosse sommitale. C’est chez les cousines que le résultat est le plus remarquable.

Mais enfin, au moment de planifier des vacances, je dois trianguler : Langres est-il bien sûr, si proche de Dijon où j’ai un oncle et de Châlons où j’avais une grand-tante ? La diaspora des cousins a-t-elle déjà atteint l’Ariège ? Quid du Creusot ?  J’hesite devant la carte de France comme un sorcier vaudou qui plante des punaises dans les sous-préfectures et guette le cri d’un cousin éloigné. Vaine précaution, ma mère ayant toujours le dernier mot, quelle que puisse être la distance à parcourir : « Puisque tu passes par là, tu pourras aller voir ton cousin. »