Fabuleux blaireau

Une nuit que je ne saurais dater, sur une route que je ne saurais situer, dans une forêt que je ne saurais nommer, est apparu dans la lumière de mes phares un animal proprement fabuleux : un blaireau. Qu’est-ce qu’un blaireau, sinon une licorne à peine plus avérée ? On ne le connait que par de vagues souvenirs de morales dont il aurait fourni le prétexte à Monsieur de la Fontaine ; on le soupçonne d’être le genre d’animal à fréquenter des goupils dans certains romans. Jusqu’à cette rencontre, je n’admettais son existence que sur la foi d’un livre d’images affirmant que la faune française se constituait de chats et de chiens, indiscutables ; de souris, prouvées par leur commerce nocturne de dents de lait, et qui rendaient plausibles les musaraignes et les mulots ; de vaches, chevaux, poules et lapins, vus chez les grands-parents ; d’ours, de sangliers et de loups, évidemment ; et, donc, de loirs, de ragondins et de blaireaux qui ne devaient leur vraisemblance qu’au voisinage des animaux mieux étayés.

Que se dit-on lorsque, adulte, on croise pour la première fois sur sa route un blaireau ? Qu’il faut freiner car la bestiole est grosse et la voiture, de location.

Mais encore ?

Je me suis rappelé le Niger où j’ai admiré, dans un zoo et dans un parc, un rhinocéros, un hippopotame, quelques pintades, un phacochère et un squelette de dinosaure. Belles bêtes, certes, mais que j’avais déjà vues auparavant en France, certaines même servies avec du chou. À une demi-heure de chez moi, vivent ou vivaient des girafes, des lions, des éléphants neurasthéniques. Enfant, je rendais visite aux otaries du jardin Lecoq, en plein centre de Clermont-Ferrand. Il y a quelques années, j’ai bu une bière au bord du lac d’Aiguebellette à deux pas d’un dromadaire ruminant là – un chapiteau se dressait de l’autre côté de la route. Et malgré cela, il m’aura fallu plus de trente ans pour rencontrer mon premier blaireau.

Mais enfin, le blaireau, c’est le panda européen ! Qu’attend-on pour en faire des peluches, des logos, des bouillottes rigolotes au bouchon astucieusement placé ? Qu’attend-on, en un mot, pour nous le montrer ?

Il se dit que le nouveau maire de Lyon voudrait revoir la vocation du zoo de la Tête-d’Or, y montrer des animaux domestiques, pourquoi pas des vaches, qu’on ne croise pas tous les jours rue de la République. Ne serait-ce pas l’occasion aussi de promouvoir le blaireau ?